Quand les économistes sortent du cadre…
Deux fois par mois, les membres du Cercle des économistes prennent position sur les grands thèmes qui marquent, ou vont marquer, l’actualité. Objectif : donner les clefs pour comprendre et peser dans le débat public.
Cette semaine, gros plan sur la GPA, la très polémique Gestation Pour Autrui. Bien plus que la problématique démographique, la question soulève chez les économistes une vive réaction sur les plans moral et éthique, bien loin de toute considération économique.
Les Français sont majoritairement favorables au recours à la gestation pour autrui (GPA). Les sondages cautionnent un feu vert guidé, en grande partie, par des raisons médicales. L’avis est loin d’être partagé chez les économistes. La GPA : à quels coûts financier, social, humain et psychologique ? On ne peut mettre ce mal-être en parallèle avec celui des chômeurs et des agriculteurs, par exemple.
Pour Hippolyte d’Albis il ne faut pas tout mélanger. « L’assistance médicale à la procréation (PMA) qui regroupe l’ensemble des techniques aidant les couples infertiles a un impact important sur la démographie. Elle représente aujourd’hui 3% des naissances, soit quelque 25.000 venues au monde chaque année ». L’assistance médicale à la procréation est un progrès en ce sens où, en plus de l’amélioration de la démographie, elle permet une amélioration du bien-être des couples en mal d’enfants. Une « formidable évolution » aux yeux de l’économiste qui rejette tout lien avec la GPA. « La Gestation pour autrui n’aide pas la démographie et je suis convaincu que ce n’est pas enviable sur le plan éthique ». Gare aux amalgames.
Catherine Lubochinsky appuie le propos de son confrère, estimant que la GPA « ne se développera pas à une échelle suffisante pour influencer véritablement la démographie ». Pour Catherine Lubochinsky : « le vrai sujet est d’ordre philosophique. Location du ventre de la mère porteuse, etc ». Très dangereux.
La « marchandisation du corps » revient souvent dans les argumentaires. Car derrière les enjeux médicaux, il y a des enjeux financiers énormes dont le prix est supporté, et subi, par les plus faibles dans le monde, parfois aux mains de réseaux mafieux. « Je crains que ce système ne s’exporte en Afrique, notamment, pour aller y chercher des mères porteuses », s’inquiète l’économiste Dominique Roux. De nombreuses disparitions d’enfants sont constatées en Afrique subsaharienne. Elles alimentent un trafic d’organes, voire des rites sectaires sanguinaires, qui ne font aucun doute. Pour Dominique Roux, « la GPA mal régulée porterait en germes un trop grand risque de récupération par des individus peu scrupuleux, avides de business du corps humain. Nos sociétés occidentales n’en sont pas suffisamment conscientes ».
Professeure de droit économique, Marie-Anne Frison-Roche travaille beaucoup sur la gestation pour autrui, fer de lance, selon elle, d’une industrie de l’humain. « Les marchés ne sont pas spontanés, mais construits par le droit qui désigne quelles sont les choses, les valeurs, les services, aptes à être objet de marché. Or, pour le droit, le corps humain n’est pas un objet de marché parce que l’être humain ‘’est’’ son corps ». Et l’économiste de poursuivre : « Les partisans de la GPA veulent renverser ce principe pour lui substituer le principe du désir. Dès l’instant qu’un objet ou une prestation est désiré par l’un et que l’autre consent à le céder ou à le faire, alors la rencontre de ces deux désirs créerait un marché et le droit n’aurait d’autre utilité que d’accompagner cette loi du désir, pour l’organiser et la réguler, mais sans avoir aucune légitimité à y faire obstacle ».
Les questions de filiation et d’identité sont également largement débattues, tant du côté de l’enfant que des donneurs de gamètes. Comment répondre à un enfant en quête de ses origines ? L’anonymat, prévu par la loi française, est-il la bonne solution alors que le développement de nouvelles technologies le fragilise, semblant permettre à un enfant de retrouver son géniteur des années plus tard ? Un économiste, féru de psychiatrie, attire l’attention sur les donneurs. Selon lui, « 10% des donneurs ont ensuite des difficultés psychologiques. Cela posera aussi des problèmes aux propres enfants biologiques de celui qui a donné son sperme ». « Pour pallier la souffrance que constitue le fait de ne pas avoir d’enfants, il ne faut pas risquer de créer d’autres souffrances chez les enfants à naître par la PMA ou la GPA », conclut-il.
Des voix s’élèvent pour réclamer une pause qui permettrait de faire l’inventaire des progrès réalisés depuis près de 40 ans. Qui veut-on servir ?, s’interroge un économiste spécialiste des questions de santé. L’idée d’organiser un référendum n’est pas éloignée. Mais pour Jean-Paul Betbeze, « un enfant est un enfant. Payer la mère pour procréer et marchandiser l’enfant est anormal. C’est un problème philosophique profond ». Le risque est grand de tomber dans l’univers décrit dans le livre Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, roman d’anticipation écrit en 1931. La GPA rappelle à l’économiste les heures les plus sombres de l’histoire de l’humanité, pas si ancienne.
Lancés en janvier 2018, les Etats généraux de la bioéthique doivent se prolonger pendant cinq mois, avec des débats dans toute la France, autour de la génétique, les neurosciences et, bien sûr, l’intelligence artificielle. Ces débats doivent permettre de faire remonter tous les avis au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour son rapport censé éclairer les parlementaires. Les économistes ont leur mot à dire. Il conviendrait de les écouter.