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Aristote : La monnaie doit s’inscrire dans un espace politique

Philosophe grec né à Stagire en Macédoine, en – 384, et mort à Chalcis en Eubée, en – 322, Aristote fut le disciple de Platon pendant plus de vingt ans avant de prendre une distance critique et fonder sa propre école, le Lycée. Véritable encyclopédiste, il élabora une réflexion fondamentale sur l’éthique et sur la politique qui influença durablement l’Occident. Le « Stagirite » est également considéré comme l’inventeur de la logique avec sa théorie du jugement prédicatif.

Benoît Coeuré, membre du Cercle des économistes, revient sur les pensées étonnamment actuelles de ce philosophe :

Aristote identifie les trois fonctions de la monnaie, qui font encore référence : moyen d’échange, unité de compte et réserve de valeur. S’il est si important de protéger la valeur de la monnaie, c’est bien pour « donner l’assurance que l’échange sera possible », c’est à dire assurer l’ordre économique et garantir aux citoyens que leur travail deviendra pouvoir d’achat. Après Aristote, il faudra longtemps pour caractériser les conditions de stabilité de la monnaie. Dès 1356, Nicolas Oresme dénonce la tentation du Prince de dévaluer en manipulant les quantités de métal précieux, mais c’est Jean Bodin en 1578 puis David Hume en 1752 qui lieront quantité de monnaie et niveau général des prix, ce qu’on appelle aujourd’hui théorie quantitative de la monnaie. Ce lien légitime une régulation macroéconomique de la monnaie assurée par des banques centrales qui, comme l’aurait souhaité Nicolas Oresme, sont indépendantes du Prince. La conviction que les désordres monétaires sapent les fondements de l’économie de marché fonde notre ordre économique. Traumatisés par l’hyperinflation des années 1920, les Européens ont inscrit la stabilité des prix dans leurs constitutions et dans leurs traités.

Les trois fonctions de la monnaie éclairent aussi l’avenir du système monétaire international. Le dollar des Etats-Unis et l’euro seront un jour rejoints par le yuan chinois, le réal brésilien et la roupie indienne dans le club des grandes monnaies. Qu’est-ce qu’une monnaie internationale ? Un moyen d’échange : c’est contre des dollars que la France vend des avions et achète des téléviseurs chinois. Une unité de compte : le Brent est coté en dollar ; le yuan est ancré sur le dollar et le franc CFA sur l’euro. Une réserve de valeur pour les banques centrales et les grands investisseurs internationaux. C’est à l’aune des critères d’Aristote que se joue l’avenir du monde multi monétaire, dont débat le G20.

Enfin, Aristote inscrit clairement la monnaie dans un contexte politique. La monnaie est un objet social qui n’existe que dans le cadre de la loi. Son usage est justifié pour satisfaire des besoins, pas pour faire des profits. En langage d’aujourd’hui, cela signifie que les banques centrales doivent inscrire leur action dans un espace politique, en contrepoint d’une régulation des échanges et d’une lutte contre l’excès de profit. C’est cet espace politique qui a manqué en Europe pour assurer le bon fonctionnement de la monnaie unique et qui se construit aujourd’hui sous nos yeux au travers de crises successives.

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