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Banquier central, c’est un métier !

banquier-central-cest-un-metier-web-tete-0217755302La presse s’est récemment fait l’écho d’une lutte d’influence à propos de la nomination du prochain gouverneur de la Banque de France, qui remplacera Christian Noyer fin octobre prochain. L’Inspection des finances défendrait l’un des siens. L’Insee et les anciens de l’Ecole polytechnique soutiendraient une autre personnalité. Posé en ces termes, c’est là un débat dénué de sens. Car le « central banking » n’est pas un trophée. C’est un métier, exercé de façon collégiale au sein d’un Comité de politique monétaire, qui exige des compétences spécifiques. Et la Banque de France n’y échappe pas, même si le pouvoir monétaire ou prudentiel de celle-ci est aujourd’hui très largement dilué au sein des organes de direction de la BCE.

Le « central banking » est d’abord une science, une science molle pourrait-on dire, parce que les relations entre les instruments de politique monétaire et les cibles visées ne sont pas stables, diffèrent dans le temps ou selon les pays. Afin de respecter le mandat qui lui est confié, le banquier central décide de la politique monétaire la mieux à même d’assurer la stabilité des prix en fixant les taux d’intérêt directeurs ou en menant des politiques non conventionnelles jouant sur les volumes de liquidité bancaire ou de nature à influer directement sur les taux d’intérêt à long terme. Mais cela ne se réduit pas à la mise en oeuvre mécanique d’une règle. Il s’agit d’appliquer à un contexte conjoncturel l’analyse macroéconomique ou la théorie monétaire, y compris en mobilisant une grande diversité de modèles. Ainsi le banquier central sera-t-il conduit à privilégier, selon la situation, tel ou tel canal de transmission pour influer sur le taux d’inflation ou le taux de croissance, le canal des taux ou le canal des bilans bancaires, par exemple. Au gré des renouvellements de la recherche académique, y compris au sein même des services de recherche des banques centrales, auxquels le banquier central ne peut pas rester étranger malgré leur technicité, les stratégies monétaires évolueront.

Mais le « central banking » est aussi un art. Ex ante, avant toute décision, car il s’agit de répondre à des situations souvent ambiguës, face à des signaux contradictoires quant aux forces inflationnistes ou déflationnistes, en examinant le sentiment des marchés, en arbitrant entre des objectifs contradictoires à court terme, en prenant les décisions au moment opportun. Ex post, en justifiant auprès des marchés l’analyse de la situation et les prévisions retenues, les objectifs intermédiaires visés à court terme, mais aussi le phasage futur de la politique des taux, le fameux « forward guidance ». D’où l’importance des conférences de presse où le banquier central développe en toute transparence son analyse et sa stratégie sur le plan monétaire ou s’agissant de la dynamique de l’économie réelle. Car l’action du banquier central est fondamentalement un processus de communication avec les agents économiques, les banques surtout, de nature à influer sur leurs anticipations d’inflation ou sur le climat des affaires. Pas toujours avec succès, d’ailleurs. Au gré des échecs rencontrés, il sera amené à redéfinir son « central banking », par exemple en adoptant des politiques non conventionnelles d’injection de liquidités. L’intuition et l’expérience de la chose monétaire viennent alors compléter la science du banquier central.

Tel est le métier des banquiers centraux, devenus indépendants du pouvoir politique pour asseoir leur crédibilité, mais choisis par celui-ci en fonction de leur compétence à atteindre les objectifs définis par leur mandat. Pour cela, les banquiers centraux doivent combiner plusieurs qualités. D’abord, une familiarité avérée avec les développements les plus récents de la recherche en macroéconomie, en économie monétaire et financière… C’est ce qui explique que, dans la plupart des cas, le banquier central dispose d’un curriculum académique, quelquefois même à la frontière de la recherche économique de pointe. Mario Draghi a obtenu un doctorat au MIT ; Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, à Oxford ; Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, à Bonn. Ben Bernanke a enseigné la macroéconomie monétaire à Stanford puis à Princeton. Janet Yellen, l’actuelle présidente de la Fed, à Berkeley. Mais doivent s’y ajouter une expérience avérée de la chose monétaire, d’où le fait que Ben Bernanke et Janet Yellen aient longtemps siégé au « board » de la Fed avant d’en prendre la tête, et une indépendance avérée vis-à-vis des milieux bancaires.

Gageons que le prochain gouverneur de la Banque de France sera un homme (ou une femme) de l’art non dénué(e) de science monétaire.

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