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Concurrence : les enjeux d’un mariage Bouygues-Orange

mariage bouygues orangeLa saison 2016 du feuilleton des télécommunications a commencé avec l’annonce de « discussions préliminaires » entre Orange et Bouygues.

Cette concentration associerait les détenteurs de plus de la moitié du marché, dont le leader. Passée la surprise et dans l’attente d’un projet précis à évaluer, essayons de dégager quelques enjeux réglementaires.

Les objectifs des parties prenantes sont nombreux et parfois contradictoires. Ils concernent le maintien d’une concurrence effective, les prix, les investissements, la situation des personnels, l’intérêt des actionnaires de Bouygues Telecom et d’Orange, avec le cas particulier de l’Etat actionnaire, sans oublier les intérêts de Free et de SFR, invités à participer au projet, pour ne citer que les principaux concurrents.

La concentration du marché des télécommunications, singulièrement sur le mobile, n’est pas qu’un débat européen : trois opérateurs de réseau  ? Quatre, voire cinq ? L’économiste a tendance à répondre « ça dépend »… La concurrence peut éliminer des rentes et inciter à l’efficacité, mais trop de concurrence peut limiter l’investissement et l’innovation. Le mouvement de concentration est récent, les conclusions des études dépendent du point de vue et de la durée d’observation..

Une étude de Frontier Economics pour la GSMA, lobby mondial des opérateurs mobiles peu suspect de vouloir favoriser les consommateurs, apporte un éclairage sur la relation entre prix, concurrence et investissements. Rien ne permettrait de dire que les investissements sont supérieurs avec trois ou quatre acteurs. La baisse des prix mobiles des dix dernières années en Europe – division par près de trois – s’expliquerait surtout par les performances techniques des nouveaux réseaux par rapport au vieux GSM (débit multiplié par 1.000) et peu (15 %) par l’intensification de la concurrence. Autrement dit, Free, en baissant les prix, a traduit l’explosion des capacités et l’effondrement des coûts de transmission. Mais les opérateurs historiques n’avaient pas encore transféré aux consommateurs tous les gains du progrès technique.

L’incitation à l’investissement, couplée à une bonne dose de concurrence, serait le bon remède. Pour y parvenir, des compensations seront négociées avec l’Autorité de la concurrence, si subsistaient seulement trois opérateurs de réseau. Le développement de MVNO indépendants disposant de vrais contre-pouvoirs vis-à-vis des opérateurs hôtes sera probablement sur la table. Le régulateur acquerrait, ipso facto, des pouvoirs de contrôle qu’il n’avait pas pu obtenir jusqu’à présent.

Depuis 2011, Orange est enfin sorti de son statut d’opérateur systématiquement présumé en position dominante sur le marché fixe, et qui à ce titre ne pouvait pas faire des offres couplées fixe/mobile. Le contrat d’itinérance nationale signé par Orange avec Free lui a permis d’obtenir le droit de faire, comme ses concurrents, des offres « quadruple play ».

Bouygues Telecom était entré, en 2008, sur le marché du fixe. Il a pris plus de 10 % du marché avec une politique tarifaire agressive, ces deux dernières années. Ses concurrents verraient plutôt d’un bon oeil sa disparition. Mais cette acquisition réussie de clients est coûteuse. Ses concurrents sont plus de deux fois plus gros et les économies d’échelle cruciales. Les besoins de cash nécessaires à la prise de part de marché et aux investissements susceptibles de la rentabiliser sont significatifs et risqués.

L’appétence des Français pour la fibre augmente enfin. Orange, qui vient d’annoncer son millionième client connecté à la fibre optique est en train de réussir son pari. Au regard du total du marché de la fibre de bout en bout qui devrait être inférieur à 1,5 million, la domination d’Orange est évidente. Or, dès 2014, l’Autorité de la concurrence et la Commission européenne incitaient l’Arcep à la mise en place d’une régulation de l’accès à la fibre optique hors zone câblée. La disparition d’un opérateur ne pourrait qu’augmenter la pression.

Avec le passage du marché à trois opérateurs, Orange risque de retrouver plus souvent le régulateur sur son chemin, dans le mobile comme dans le fixe. Dans le passé, il n’appréciait pas beaucoup.

 

Joëlle Toledano
Joëlle Toledano est professeur d’économie à CentraleSupélec et ancien membre du collège de l’Arcep.

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