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David Ricardo : Travail, machine et compétition

Autodidacte de la pensée économique, financier prospère, homme politique britannique influent, David Ricardo (1772-1823) fait partie du triumvir de l’École classique aux côtés d’Adam Smith et de Thomas Malthus. Apôtre du libre-échange, inventeur de l’avantage comparatif, théoricien de la rente et de l’étalon or, penseur de la valeur, Ricardo a largement contribué aux fondements de l’économie politique et surtout à son application concrète en politique économique.

Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, commente les écrits de ce monument du courant classique en économie

David Ricardo, chacun le sait, est surtout connu par ses fulgurances théoriques sur le commerce international et sur les problèmes de répartition. Ce texte qui porte sur le développement de l’utilisation de machines, est à mes yeux peut-être le plus talentueux qu’il ait jamais écrit. Comme il le dit lui-même, avec beaucoup d’honnêteté, il a le sentiment de s’être trompé sur l’impact qu’avait leur introduction sur l’emploi. En fait, le chapitre « des machines » ne faisait pas partie des premières versions des « Principes », car comme tous les auteurs classiques, Ricardo au départ avait une vision simpliste de la substitution du capital au travail dans la mesure où il y voyait une logique simple se développer : gains de productivités qui accroissent le profit, qui favorisent des investissements supplémentaires porteurs d’emplois nouveaux se substituant aux emplois détruits.

C’est une thèse que l’on retrouvera sous une autre forme, un siècle et demi plus tard chez Alfred Sauvy, mais où, là, l’auteur insistera sur la baisse des prix permettant aux consommateurs d’acquérir de nouveaux biens et donc de soutenir une croissance fondée sur de nouveaux secteurs d’activités.

Or, le texte ne dit pas du tout cela. Il traite en réalité de la transition, c’est-à-dire la période pendant laquelle de nouvelles activités ne sont pas venues suppléer aux précédentes désormais moins utilisatrices d’emploi. Par ailleurs, il traite de la compétition entre nations, c’est-à-dire du risque de voir les investissements fuir le pays d’origine si pour des raisons de défense de l’emploi on a tenté de ralentir la mécanisation.

C’est toute l’histoire de Ricardo du 18e siècle jusqu’à aujourd’hui qui se trouve éclairée par cette réflexion. Tout au long du 19e siècle, la machine fut vue comme l’ennemi de travail. Souvenez-vous des Luddites ou des Canuts de Lyon. Dans les deux cas, il s’agissait de s’opposer par tous les moyens à l’arrivée de machines qui se substituaient à l’homme. Le 20e siècle fut moins obsédé par ce thème, même si les débats depuis 40 ans sur la délocalisation ressemblent étrangement à ceux d’il y a deux siècles. Car le commerce international peut être appréhendé de manière similaire au progrès technique et au machinisme. Même si, il y a désormais la conviction que la liberté de circulation des capitaux rend impossible des politiques de blocages du progrès technique, tout simplement parce que la concurrence entre nations conduira obligatoirement l’investissement à se réaliser là où il est bien accueilli.

Ce texte n’est ni optimiste ni pessimiste, il pose la question des changements de techniques, du rôle que celui-ci peut avoir vis-à-vis de la main d’œuvre à court terme, et pour lesquels les politiques économiques doivent être vigilantes et actives et du fait qu’à moyen terme, l’impact négatif peut se transformer en croissance plus forte.

 

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