" Osons un débat éclairé "

Défis du fisc

Agnès Bénassy-Quéré

Agnès Bénassy-Quéré

Alors que le Premier ministre lance ces jours-ci les assises de la fiscalité, il est utile de réviser nos fondamentaux en la matière. Vous ne me croirez sans doute pas, mais la fiscalité est un angle mort de l’enseignement de l’économie. Si vous entreprenez des études d’économie, ce que je ne saurais trop vous conseiller, vous étudierez la manière dont les entreprises fixent leurs prix selon l’intensité de la concurrence, vous apprendrez à calculer un multiplicateur keynésien, vous découvrirez les secrets de la création de monnaie, mais il y a toutes les chances que personne ne vous enseigne comment lever un impôt. Or dans ce domaine il est utile d’avoir en tête quelques principes.

Premier principe : il faut spécialiser les impôts. Un même impôt ne peut servir à la fois à lever des ressources, favoriser l’emploi et réduire les inégalités. A courir trop de lièvres, vous risquez de les rater tous. C’est la raison pour laquelle il faut abandonner l’idée de faire du micro-management avec la TVA. La TVA est un impôt aveugle qui ne peut être rendu progressif. Imaginez votre boulangère vous demander votre feuille d’impôt avant de vous appliquer la TVA sur la baguette. De la même manière, accorder une TVA plus faible aux secteurs intensifs en main d’œuvre – par exemple la restauration ou les fleurs coupées – est une manière inefficace et coûteuse de créer des emplois. Pour mémoire, le Danemark ne se porte pas si mal avec son taux de TVA unique à 25%. Laissons donc la TVA faire ce qu’elle sait faire : lever efficacement des ressources. L’équité du système ne se juge pas au niveau de chaque impôt mais en prenant tout en compte – TVA, impôt sur le revenu, CSG, ISF, taxes locales, mais aussi, dans le sens retour, RSA, prime pour l’emploi, aides au logement, etc.

Deuxième principe : il faut rester lucide sur la vraie répartition de la charge fiscale. Celui qui rédige le chèque n’est pas toujours celui sur qui retombe la charge de l’impôt. Par exemple, abaisser l’impôt sur les sociétés ne signifie pas nécessairement faire un cadeau aux actionnaires des entreprises. Des recherches ont en effet montré que l’IS est de facto payé en partie par les salariés, sous forme de salaires plus faibles ou d’un emploi en baisse. En revanche, réduire la fiscalité de l’immobilier bénéficiera pour sûr aux propriétaires. La règle générale est que l’impôt échoit à l’assiette fiscale la moins mobile. Les vrais contribuables sont donc avant tout ceux dont les assiettes sont peu mobiles : les consommateurs, les propriétaires fonciers, les travailleurs peu qualifiés. Les entreprises, les travailleurs qualifiés sont, eux, plus facilement en position de reporter sur d’autres leur facture fiscale. Par exemple, les travailleurs très qualifiés exigeront et obtiendront des hausses de salaires pour compenser un impôt sur le revenu en hausse. Ce sera plus difficile pour la classe moyenne.

Dernier principe, qui découle du précédent : dans un monde ouvert, et en l’absence de coopération fiscale, il est difficile de faire payer les riches, car ces derniers ont la possibilité de demander l’asile fiscal à d’autres pays dont certains sont nos voisins. Or la mondialisation, qui créée à la fois des richesses et des inégalités, appelle à davantage (non moins) de redistribution. Les échanges d’informations entre administrations fiscales européennes sont une réponse à cette contradiction. Les mettre en œuvre ne serait pas du Lux(embourg) !

Chronique diffusée sur France Culture le 30 janvier 2014

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