" Osons un débat éclairé "

Hommage à Ronald Coase

Agnès Bénassy-Quéré

Agnès Bénassy-Quéré

Aujourd’hui je voudrais rendre hommage à Ronald Coase, économiste britannique décédé la semaine dernière à l’âge de 102 ans. Prix Nobel d’économie en 1991, Ronald Coase est l’auteur d’un célèbre théorème qui porte son nom. Prenons un exemple concret qui empoisonne les relations de voisinage – le tapage nocturne. Vous savez que vous n’avez pas le droit de jouer de la trompette entre 10h du soir et 7h du matin (article R. 623-2 du code pénal). Toutefois, rien ne vous empêche de trouver un arrangement avec vos voisins si vous voulez organiser un petit concert privé. Vous pouvez par exemple les inviter au concert ou, s’ils ne partagent pas vos goûts musicaux, les indemniser pour ce qu’on appelle communément la « gêne occasionnée ». Imaginez maintenant qu’un gouvernement festif abolisse l’article R. 623-2. Désormais, vous pouvez jouer de la trompette à toute heure du jour et de la nuit. Ce sont maintenant vos voisins qui vont venir vous supplier de stopper le flot de décibels. Ils peuvent aller jusqu’à acheter votre silence au moyen de quelques espèces elles aussi sonnantes. Le théorème de Coase nous dit que, quelle que soit la législation relative au tapage nocturne, la quantité de bruit dans un immeuble sera la même. Si le tapage est interdit, le tapageur achète le droit de tapager ; s’il est permis, les voisins négocient le droit au silence. Le résultat est le même en termes de bruit. La seule différence, c’est le sens de l’indemnisation : du trompettiste vers ses voisins ou des voisins vers le trompettiste. Plus généralement, le théorème de Coase énonce qu’une externalité telle que le tapage nocturne peut être résolue par un mécanisme de marché si les droits sont bien définis et si les coûts de transaction sont limités. La solution est efficace parce qu’elle est flexible. S’il vous est possible de décaler dans la journée vos gammes et vos arpèges, vous vous décalerez plutôt que d’indemniser vos voisins. Mais si vous ne pouvez faire autrement, alors vous choisirez d’acheter leur indulgence.

Toutefois, quand les pollueurs sont nombreux, la négociation bilatérale devient impossible. Il faut alors organiser un véritable marché, même si le mécanisme est le même. Prenons l’exemple du système européen pour les émissions de CO2, mis en place en 2005. L’idée est 1) de bien définir et contrôler les obligations des entreprises, 2) de leur allouer (gratuitement ou par enchères) une quantité limitée de droits à émettre du CO2, et 3) de les autoriser à échanger ces droits entre elles. Les entreprises pour qui il est peu coûteux de réduire les émissions vont revendre leurs droits à celles pour qui c’est difficile. L’objectif de réduction des émissions sera réalisé à moindre coût.

Qu’en est-il dans la réalité ? Dans un article paru récemment dans le Journal of Economic Perspectives, Lawrence Goulder, Professeur à Stanford, confirme, à partir de différentes expériences, que les marchés de permis réalisent les objectifs de dépollution à coût plus faible qu’une réglementation stricte, à condition toutefois que les émissions soient surveillées et les amendes dissuasives. Toutefois, les prix sont souvent instables, de sorte qu’une taxe carbone peut s’avérer préférable. Dans tous les cas, vous l’aurez compris, ce sont bien les pollueurs – non les pollués – qui payent. Pauvres trompettistes !

Chronique diffusée sur France culture le 12 septembre 2013

 

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