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Il est urgent de réformer notre système de santé

il-est-urgent-de-reformer-notre-systeme-de-sante-weAprès des mois de préparation, la loi santé est arrivée enfin en discussion au Parlement, dans un contexte houleux. Les causes du malaise du corps médical sont profondes : au-delà du contenu de la loi, les mutations technologiques et sociales déstabilisent une profession pas toujours ouverte aux évolutions. Dans le domaine de la santé comme dans tous les autres, l’accélération de la circulation de l’information bouleverse des situations qu’on croyait solidement établies. Alors que le savoir médical faisait l’objet d’un strict monopole et que l’accès à ce savoir passait par un médecin, le développement des sites d’informations médicales et des réseaux sociaux de patients chamboulent tout. Plus que jamais, la régulation du système de santé doit prendre deux voies : organiser l’information et simplifier le financement des soins.

Premier point de tension, la coordination des différentes professions de santé. Kenneth Arrow, prix Nobel d’économie, évoquait, en 1963, la possibilité que les pharmaciens pratiquent des actes médicaux simples comme les vaccinations. Plus de cinquante ans plus tard, en France, cette même question est encore évoquée sous le terme de « délégation de tâches ». Cette approche « top-down », selon laquelle il s’agit de définir d’en haut quels sont les actes dont le monopole ne doit plus être réservé au corps médical, est en soi révélatrice d’une vision dépassée. Aujourd’hui, l’information ne circule plus du haut (les médecins) vers le bas (les patients), en passant par des intermédiaires (les infirmières, les pharmaciens…). Bonne ou mauvaise, juste ou erronée, l’information circule maintenant dans tous les sens, sans être centralisée par le médecin. Depuis plusieurs années, le dossier pharmaceutique permet à chaque pharmacien de connaître l’ensemble des médicaments achetés par un patient, dans son officine ou ailleurs. Cela évite de délivrer des traitements redondants, voire dangereux car incompatibles. La généralisation d’une telle approche à travers le dossier médical personnel, qui permettrait à chaque professionnel de santé de partager les informations médicales au moment où il a besoin de connaître l’histoire d’un patient, souffre en France de retards inimaginables dans d’autres secteurs : lancé en 2004 par la loi de santé portée alors par Douste-Blazy, il n’est opérationnel que sur un ensemble très réduit d’informations. Là aussi, il a été pensé dans une logique descendante, sans tenir compte des pratiques et des expériences des professionnels, associant très peu les associations de patients, qui seraient pourtant les premiers bénéficiaires d’une meilleure coordination des soins.

Le deuxième point de tension, le plus vif, porte sur la généralisation du tiers payant, qui permettrait à chaque patient de ne plus avancer le coût de la consultation chez le médecin : ce dernier sera désormais payé directement par la Sécurité sociale et par l’assurance complémentaire (la « mutuelle ») couvrant le ticket modérateur du patient. A juste titre, les patients plébiscitent une telle mesure. Mais les médecins craignent de s’engager dans une relation financière avec des centaines d’organismes d’assurance complémentaire. Les pharmaciens le font depuis plusieurs années. Mais ceux-ci sont équipés de systèmes informatiques pertinents, et l’organisation collective de leur activité leur permet de faire appel à des intervenants chargés de ces tâches de gestion. L’opposition des médecins au tiers payant généralisé révèle donc, en creux, une organisation encore très individuelle, et peu informatisée, de leur activité.

Elle révèle aussi un autre archaïsme français, plus structurel. La complexité de la question du tiers payant est induite par l’histoire de notre assurance-maladie, qui fait intervenir deux organismes d’assurance pour la même dépense de soins. Unique au sein des pays développés, cette organisation conduit à une duplication de frais de gestion, tout autant qu’à une ambiguïté sur le rôle des différents financeurs dans la régulation de l’offre de soins. Plutôt que de chercher à transférer la complexité de ce système des patients vers les médecins, il est urgent de le simplifier. Il est temps, enfin, de choisir : confier l’ensemble de la dépense à une Sécurité sociale plus décentralisée, ou à des organismes multiples agissant dans un environnement concurrentiel régulé. Mais, pour trancher, il faudrait une volonté politique d’une tout autre nature que celle qui a présidé aux incessantes « réformes » des dix ou quinze dernières lois de santé.

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