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Il faut desserrer la rigueur budgétaire en zone euro

il faut desserrer la rigueurLe pilotage macroéconomique de la zone euro est en échec. Le FMI prévoit une croissance de seulement 0,8 % en 2014 et d’à peine 1,3 % en 2015. Au regard des estimations de juillet dernier, ces prévisions ont été ajustées à la baisse en octobre (respectivement de -0,3 % et de -0,2 %). Aucune chance, dans ces conditions, de voir une baisse des taux de chômage en Europe. Et malgré les politiques non conventionnelles de la BCE, malgré des taux d’intérêt proches de zéro, le taux d’inflation de la zone reste très bas (0,4 % en rythme annuel selon les chiffres d’octobre), certains pays ayant déjà une inflation négative. La crainte est grande que la zone euro plonge dans la déflation. Face à un tel blocage de la reprise économique, on incrimine souvent, à juste titre, l’ampleur et le rythme des politiques de consolidation budgétaire imposées par Bruxelles, par Francfort, par Berlin. Mais les politiques de l’offre, elles aussi, contribuent au risque d’une nouvelle contraction de l’activité économique.

En effet, la mise en place des réformes sur le marché du travail ou les marchés des biens et services vise à assurer une plus grande flexibilité des salaires réels et une baisse des charges ou des coûts de production des entreprises, afin d’augmenter leurs marges, de soutenir l’investissement, de dégager des gains de productivité, de leur assurer une plus grande compétitivité sur le marché mondial et donc, in fine, de relever le taux de croissance potentiel de la zone euro. Cela se justifie aisément en termes microéconomiques. Mais dans le contexte actuel, paradoxalement, ce choc d’offre peut exercer un effet contre-productif sur le plan macroéconomique.

Car nous ne sommes pas dans une phase normale, faisant suite à une simple récession issue de la cyclicité habituelle de l’activité économique. Et nous ne sommes pas encore dans l’après-crise financière, après le choc mondial de 2007-2008. Cette crise financière majeure, la plus grave depuis les années 1930, a répondu à un excès des leviers d’endettement, c’est-à-dire à un surendettement généralisé des agents économiques privés (firmes, ménages, banques). Or, on ne peut sortir d’une crise du surendettement qu’au terme d’un processus de désendettement qui, dans la zone euro, contrairement à l’économie américaine, est encore insuffisamment engagé. C’est pour cela qu’il y a un risque, au mieux, d’un scénario à la japonaise de croissance nulle; au pis, d’une nouvelle contraction.

Car plus rien ne fonctionne comme avant, quand on se trouve en situation de désendettement généralisé et de quasi-déflation. Chez certains agents économiques, le désendettement réduit mécaniquement la dépense et la déflation accentue le poids réel de la dette résiduelle, surtout si on évalue sa soutenabilité en fonction du potentiel de croissance future. Chez d’autres, l’opacité de l’avenir et l’aversion au risque inhibent la demande de crédit, malgré les taux zéro. L’incitation accrue à l’épargne contribue à l’offre excédentaire de biens et déprime l’investissement. Et, surtout, un choc d’offre positif, sous la forme d’un gain de productivité ou d’une plus grande flexibilité à la baisse des prix et des salaires, vient donc alimenter à nouveau la déflation par la dette et le report du désendettement. C’est le scénario infernal dans lequel s’est retrouvé le Japon tout au long des années 1990.

A court terme, il est vain d’imaginer que l’on pourra sortir de l’atonie actuelle en réduisant les rigidités structurelles sur le marché du travail ou sur les marchés des biens ou des services. L’allégement provisoire des politiques de consolidation budgétaire des Etats dans la zone euro, couplé à un choc d’investissement à l’échelle de l’Union, apparaît alors comme la seule solution permettant d’accélérer la reprise de l’investissement en situation d’inflation zéro, face à des agents privés qui se désendettent, quand d’autres augmentent leur taux d’épargne, de surcroît en présence d’un durcissement des conditions d’octroi du crédit de la part des banques.

Il y a là un risque de report excessif des ajustements budgétaires, notamment sur les générations futures, et un pari quant à la capacité des marchés à accompagner ce report du désendettement des Etats. Sans doute. Mais le travail de crise n’a pas encore permis un désendettement suffisant pour qu’un choc d’offre puisse alimenter une nouvelle dynamique de croissance dans la zone euro.

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