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John Maynard Keynes : l’inefficience des marchés à l’épreuve du temps

John Maynard Keynes est assurément l’économiste le plus célèbre et le plus influent du XXe siècle. Il a donné son nom à un courant de pensée, le keynésianisme, qui guide toujours les politiques économiques de la quasi-totalité des pays industrialisés. Et pour cause : l’économie occupait finalement une place bien relative dans la vision du monde de Keynes. Ce personnage exceptionnel, central dans la vie intellectuelle de l’époque, est avant un homme d’action et un fin politique.

Jean-Paul Pollin, membre du Cercle des économiste, revisite ce grand classique de la théorie économique.

Le jeu déstabilisant des anticipations de marchés, qu’illustre la fameuse parabole du concours de beauté, occupe une place centrale dans l’argumentation de la Théorie Générale.  Car hier comme aujourd’hui les désordres de la finance étaient au cœur de la crise économique. J.-M. Keynes expliquait qu’en l’absence d’action budgétaire correctrice les niveaux d’emploi et d’activité économique sont principalement fonction de l’investissement. Lequel dépend de la rentabilité des capitaux et des taux d’intérêt anticipés. De sorte que la façon dont se forment ces prévisions est essentielle pour la détermination de l’équilibre économique.

Dans l’hypothèse de prévisions parfaites (on dirait aujourd’hui rationnelles) et d’une flexibilité suffisante des prix et des salaires, cet équilibre s’accorderait avec le plein emploi des capacités de production. Mais ce sont précisément ces hypothèses que la Théorie Générale s’efforce de réfuter. En particulier, J.-M. Keynes observait que les investisseurs ne cherchent pas à prévoir les taux d’intérêt compatibles avec le plein emploi, ni quel sera dans ce cas la rentabilité du capital. En d’autres termes, les investisseurs ne s’intéressent pas à la valeur de long terme des actifs, parce que leur horizon de prévision est trop limité, pour les raisons que J.-M. Keynes énumérait et qui n’ont rien perdu de leur pertinence. Dès lors, il est pour eux plus naturel d’essayer de comprendre (et éventuellement de copier) le modèle de décision des autres intervenants, que de jouer à deviner les caractéristiques d’un long terme qu’ils sont contraints d’ignorer.

Or, on peut montrer que ce comportement conduit à une volatilité excessive des marchés financiers. Mais surtout que les prix d’actifs, les taux d’intérêt, donc le niveau d’activité économique, qui en résultent n’ont aucune raison de garantir le plein emploi.

J.-M. Keynes répondait ainsi par avance aux idéologues de l’efficience des marchés qui prétendent (comme le fera M. Friedman) que la spéculation est stabilisante. A suivre son raisonnement, il se peut, au contraire, que ce qui facilite cette spéculation (on peut y inclure une bonne part des innovations financières récentes) contribue à fragiliser le fonctionnement de l’économie. De même que les gains spéculatifs ne sont pas la contrepartie d’une meilleure régulation de l’économie.

Le temps n’a rien changé à la force de ces arguments. Seules, la place du secteur financier et sa ponction sur le PIB, se sont beaucoup élargies. Or, les crises à répétition qui ont accompagné ces évolutions témoignent d’une instabilité croissante ; tandis que rien ne prouve qu’elles aient contribué à stimuler la croissance. Au total, la logique court termiste des marchés financiers n’a donc guère profité aux économies qui ont accepté de s’y soumettre.

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