" Osons un débat éclairé "

Les deux visages de la révolution technologique

La domination des Gafa et des BATX s’appuie sur quatre points sensibles : optimisation fiscale, risques d’abus de position dominante, mainmise sur les données personnelles mais aussi – et c’est une première dans l’Histoire –  capacité à décider de l’avenir technologique de l’humanité.

« De tous les carrefours importants, l’oeil immense vous fixait du regard. Il y en avait un sur le mur d’en face. BIG DATA VOUS REGARDE, répétait le message. » Le fait de pasticher le célèbre « 1984 » de George Orwell permet d’imaginer ce que pourrait être une société intrusive, marquée par une intervention systématique dans la vie privée des citoyens. On peut pasticher ainsi bien d’autres auteurs. En revisitant « Le Meilleur des mondes » d’Aldous Huxley, on peut décrire les terribles risques d’eugénisme, ceux  liés à la manipulation génétique déjà existants, le fameux CRISPR-Cas9 . Avec « Les Cavernes d’acier » d’Isaac Asimov, on ressent la peur d’asservissement de l’homme face à la machine, et l’on devine toutes les violences potentielles d’une nouvelle ère technologique imprégnée d’une intelligence artificielle forte.

 

Une question, en effet, s’impose. Faut-il craindre les Gafa américains, les BATX chinois, et toutes les autres « big tech » ?

Evolution réglementaire

Il est important de bien distinguer quatre sujets sensibles autour de ces grandes entreprises technologiques. Trois d’entre eux sont bien connus, et progressivement, sont en voie d’être traités. Le premier, c’est celui de la fiscalité et des techniques d’optimisation largement pratiquées par elles. La Commission européenne et les gouvernements sont de plus en plus décidés à s’attaquer à ce sujet. Tout cela devrait se résoudre dans un avenir proche avec la mise en place de nouvelles règles qui remettront la fiscalité internationale à niveau.

Ensuite, ce sont les accusations de pratiques commerciales abusives et l’abus de position dominante auxquelles font face les Gafa. Comme pour la fiscalité, la Commission européenne et sa commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, suivent ce dossier de près et, déjà, n’hésitent pas à infliger de lourdes pénalités en attendant une évolution réglementaire qui devrait s’imposer.

Le politique doit reprendre la main

Après, le problème est celui de la privacy et des risques liés à l’exploitation de données à des fins commerciales ou politiques. L’affaire Cambridge Analytica et Facebook a permis une prise de conscience bien plus forte qu’à l’époque de l’affaire Snowden. Et surtout, la réglementation en Europe évolue elle aussi avec l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données à partir du 25 mai prochain.

En revanche, le quatrième sujet est aujourd’hui totalement absent de nos réflexions. Pour la première fois de notre histoire, nos sociétés démocratiques semblent incapables de maîtriser leur avenir technologique. Craindre pour notre société et l’avenir de notre liberté ne signifie en aucun cas rejeter le progrès technique, bien au contraire. Mais le fait d’innover n’autorise pas pour autant  des entreprises privées à tracer la route de l’humanité , et à dessiner pour nous un monde pensé par un Elon Musk, quel qu’en soit son talent. C’est à la réflexion collective, et donc politique, de reprendre le dessus pour définir le cadre sociétal des années à venir.

A nous de réorienter nos sociétés pour les faire tendre vers « Anthropos », un monde apaisé qui a déjà été pensé par Aristote, Rousseau, Locke, Kant… Un monde qui se veut respectueux de l’humain et qui redonnerait au politique tout son rayonnement. Enfin, surtout, un monde dans lequel le politique retrouverait toute sa capacité à se projeter dans un avenir construit par et pour les hommes.

Mickaël Berrebi et Jean-Hervé Lorenzi sont  auteurs du livre « L’Avenir de notre liberté : Faut-il démanteler Google… et quelques autres ? », Eyrolles.

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