" Osons un débat éclairé "

Mais où est passée la troisième révolution industrielle ?

The "Candy Crush Saga" game and King Digital Entertainment Plc logo are displayed on an Apple Inc. iPad Air and iPhone 5s in this arranged photograph in Washington, D.C., U.S., on Tuesday, Feb. 18, 2014. King Digital Entertainment Plc, the maker of popular smartphone games including "Candy Crush Saga" and "Pet Rescue Saga," is beginning an adventure of its own on a path to becoming a public company. Photographer: Andrew Harrer/Bloomberg

The « Candy Crush Saga » game and King Digital Entertainment Plc logo are displayed on an Apple Inc. iPad Air and iPhone 5s in this arranged photograph in Washington, D.C., U.S., on Tuesday, Feb. 18, 2014. King Digital Entertainment Plc, the maker of popular smartphone games including « Candy Crush Saga » and « Pet Rescue Saga, » is beginning an adventure of its own on a path to becoming a public company. Photographer: Andrew Harrer/Bloomberg

À la fin des années 1990, un débat nourri avait opposé nombre d’économistes sur la question de savoir si les économies des pays avancés avaient rejoint un sentier de croissance durablement plus élevée. Les uns faisaient valoir que l’on était entré dans une troisième révolution industrielle dont les conséquences seraient comparables à celles des deux premières, tandis que les autres observaient que la diffusion des nouvelles technologies de l’information ne laissait guère de traces dans les statistiques de productivité.

Près de vingt ans plus tard, les faits et les projections semblent donner raison au clan des pessimistes. Car, après un sursaut de sept ou huit ans, la croissance de la productivité est revenue, dès le début des années 2000 (avant la crise financière) et dans la quasi-totalité des pays développés, à des niveaux faibles ou très faibles. Qui plus est, les prévisionnistes ne font généralement guère état de perspectives encourageantes en ce domaine et certains économistes vont jusqu’à évoquer l’idée d’un épuisement du progrès technique. Or, ce constat et ces anticipations contredisent les discours qui décrivent une profusion d’innovations à venir, et ils sont aussi en décalage par rapport à l’impression générale, que rapportent les enquêtes, d’une accélération du changement technologique. Sans doute diverses raisons peuvent justifier une baisse des taux de croissance de la productivité : l’augmentation fatalement ralentie d’un niveau d’éducation déjà élevé, le coût des politiques environnementales, la croissance des inégalités, la réduction des investissements publics rendue nécessaire par le taux d’endettement des Etats… Mais comment admettre que l’incidence de ces facteurs aille jusqu’à annuler l’effet de tous les progrès attendus dans les technologies de l’information et les biotechnologies ?

La réponse se trouve peut-être dans la façon dont les firmes viennent puiser dans ce stock d’innovations potentielles. Il se peut que, contraintes par les objectifs et l’horizon court-termiste des marchés et des investisseurs (les fonds indépendants plus que les fonds d’entreprise), elles soient conduites à développer des projets moins porteurs de croissance. Parce que leur maturation plus courte les rend plus rapidement rentables et moins risqués.

De fait, certaines introductions boursières récentes offrent une illustration caricaturale de cette idée : si les innovations dans les nouvelles technologies se réduisent à la production de jeux ou autres gadgets pour tablettes et smartphones, il y a lieu de sérieusement s’inquiéter pour la croissance future. En d’autres termes, l’emprise des critères financiers incite à repousser les innovations de rupture au profit de « progrès » de moindre portée, si ce n’est dérisoires. Ce pourrait être l’une des principales origines de nos déceptions par rapport à la révolution annoncée.

Il est vrai, bien sûr, que la croissance n’est pas faite que d’innovations radicales. Pour une bonne part, elle découle d’évolutions incrémentales dans la qualité des biens et services ou dans les techniques de production. Or ce type d’innovation est souvent le résultat de collaborations entre firmes (recherches conjointes entre clients et fournisseurs) ou d’échanges au sein de réseaux (partages d’informations ou d’expériences). Il nécessite aussi des qualifications spécifiques acquises par les salariés dans l’entreprise. Dans tous les cas, cela suppose des liens durables entre l’ensemble des parties prenantes, et la stabilité de ces liens implique elle-même des relations de long terme entre banques et entreprises. Ceci afin de garantir la résistance de l’organisation face aux chocs de l’environnement, à l’image du Mittelstand allemand, qui sert souvent de référence. Dans ce cas aussi se trouve posée la question de l’horizon des firmes et du rôle que joue la finance dans sa détermination. En l’occurrence, la « banque de relation » protège le temps de l’innovation, à la différence des marchés, sur lesquels ne se nouent que des opérations ponctuelles.

Ce qui porte à mettre en garde contre une idée à la mode selon laquelle le retour de la croissance européenne devrait passer par une extension de la place des marchés financiers aux dépens de l’intermédiation. Il est en effet simpliste d’espérer ainsi contourner les difficultés du secteur bancaire, car il n’existe pas de réelle substitution entre les relations d’intermédiation et les relations de marché.

 

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