" Osons un débat éclairé "

Pourquoi les marchés préfèrent la gauche ?

En France et aux Etats-Unis, les rentabilités des actions sont plus élevées avec la gauche qu’avec la droite au pouvoir. Eclairage de Bertrand Jacquillat, membre du Cercle des économistes.

Les résultats de l’impact des élections sur les marchés sont à la fois contre-intuitifs et contradictoires. Contre-intuitifs, parce que les rentabilités boursières des actions sont beaucoup plus élevées avec la gauche qu’avec la droite au pouvoir. Ces constatations valent pour un certain nombre de pays, dont la France, qui nous intéresse au premier chef, et les Etats-Unis.

Dans le cycle politique, un président démocrate est plus propice à la Bourse qu’un président républicain, et la différence est très significative. Entre 1927 et 2015, soit une période de presque quatre-vingt-dix ans pendant laquelle la présidence des Etats-Unis a été presque parfaitement partagée entre démocrates et républicains, la rentabilité des actions américaines en excès du taux sans risque a été de 10,69 % l’an sous un président démocrate contre – 0,21 % sous un président républicain, soit une différence significative de 10,95 % l’an.

Dans un passé récent et de manière plus anecdotique, sous la double présidence Reagan, la performance boursière de Wall Street a été de 119 %, mais de 241 % sous la double présidence Clinton. Elle a été de – 32 % sous la double présidence Bush, suivie de 125 % sous la double présidence Obama.

Même constat en France

Idem pour la France, selon les travaux de Gérard Charreaux, rapportés dans le premier numéro de 2017 de la « Revue d’économie financière ». La rentabilité moyenne annualisée sous la gauche depuis 1981 (Mitterrand hors cohabi­tation plus Jospin plus Hollande) a été de 16,80 % tandis que la rentabilité moyenne annualisée sous la droite (cohabitations Chirac et Balladur plus Chirac président hors cohabitation et Sarkozy) n’a été que de 2,01 % l’an.

Mais ces résultats sont contradictoires avec l’impact à court terme des élections sur les marchés. En effet l’élection d’un président républicain ou de droite se traduit par une hausse immédiate des actions (et une baisse en cas d’élection d’un président démocrate ou de gauche). Cette contradiction est parfaitement illustrée par l’élection de François Mitterrand, qui a provoqué une chute importante de la Bourse de Paris en 1981, et qui présida durant la décennie 1980-1990, la plus prospère historiquement en Bourse.

Aversion et prime de risque

Une explication convaincante de ces résultats à la fois contre-intuitifs et ­contradictoires a été suggérée en mars 2007 par Pastor et Veronesi de l’université de Chicago dans un article non publié « Political Cycles and Stock Returns ». Les résultats électoraux dépendent de l’aversion au risque des électeurs, fluctuante au cours du temps.

Son niveau élevé en période de marasme économique se traduit par des cours de Bourse déprimés et une prime de risque importante, c’est-à-dire une exigence de rentabilité élevée sur les actifs risqués. Lorsque l’aversion au risque et la prime de risque sont élevées, les électeurs voteront plus volontiers pour le candidat de gauche ou démocrate parce qu’ils souhaitent davantage de redistribution.

« Trump rally »

Symétriquement, lorsque l’aversion et la prime de risque sont faibles, ce qui provoque l’élection d’un président républicain, les rentabilités boursières seront faibles voire négatives pendant son mandat, au fur et à mesure que la prime de risque se reconstitue. Et c’est en cela que le cycle politique et la finance présentent des résultats contradictoires, les marchés boursiers salueront d’abord par une hausse l’élection d’un président républicain.

Parce que celui-ci appartient à un parti favorable à l’allégement de la fiscalité, les investisseurs s’attendent à des cash-flows après impôt plus élevés des actions, d’où leur hausse suivant l’élection d’un président américain. Mais celle-ci sera effacée par la diminution progressive en cours de mandat de la prime de risque, provoquant une baisse plus importante des actions que la hausse initiale. C’est le « Trump rally » qui a suivi son élection et qui a commencé à s’estomper.

La réaction des marchés a été favorable à la victoire d’Emmanuel Macron (président de droite ?). Selon les statistiques historiques, les investisseurs devraient souhaiter que son côté « et de gauche » l’emporte sur son côté « et de droite » !

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