" Osons un débat éclairé "

Niué sous le coup d’une fatca

Agnès Bénassy-Quéré

Agnès Bénassy-Quéré

J’espère que vous êtes au point sur la géographie du Pacifique sud. Vous situez sûrement Nauru, jolie petite île micronésienne de 9400 habitants. Mais sauriez-vous localiser Niué et ses 1500 habitants ? Non ? Allez, je vous aide : au Nord-Est de la Nouvelle Zélande, à environ 500 km de Tonga ? Si je m’intéresse à ces deux îles des antipodes, c’est qu’elles symbolisent l’échec de la lutte du G20 contre les paradis fiscaux. Rappelez-vous la déclaration solennelle des chefs d’Etats du G20 à Londres, en avril 2009 : « l’ère du secret bancaire est révolue ». Et de confier à l’OCDE la tâche de faire la chasse aux jardins d’Eden fiscaux. Quatre ans plus tard, il n’y a plus personne sur la liste noire de l’OCDE, et plus que Nauru et Niué sur la liste grise. Tous les autres s’en sont tirés. Facile : il suffit, pour quitter la liste, de conclure au moins 12 accords bilatéraux d’échange non- automatique d’information. Or, comme l’ont montré Niels Johannesen, de l’université de Copenhague, et Gabriel Zucman, de l’Ecole d’économie de Paris, ces traités bilatéraux conduisent les déposants cherchant la discrétion à déplacer leurs fonds vers d’autres paradis fiscaux plutôt qu’à sagement les rapatrier dans leur pays d’origine. Les traités bilatéraux peuvent aussi être contournés à l’aide de sociétés écrans. Non, décidément, ce n’est pas la bonne manière de procéder. Notre Ministre des finances l’a bien compris, appelant à une fatca européenne. Fatca ou fatwa ? De quoi s’agit-il ?

FATCA signifie Foreign Account Tax Compliance Act, autrement dit loi sur la conformité fiscale des comptes à l’étranger. À partir de 2014, le fisc américain exigera de toutes les banques étrangères (par l’intermédiaire, le cas échéant, de leurs propres administrations fiscales), de révéler l’identité de tous les déposants américains pour des montants de 50 000 dollars ou plus. Concrètement, cela signifie que si Mr Johnson, citoyen américain, a un compte de 51 000 dollars chez UBS, cette information sera automatiquement transmise à l’administration fiscale américaine. En cas de manquement, la banque se verra appliquer une taxe de 30% sur toutes ses transactions vers les Etats-Unis – une menace dissuasive.

Si les Etats-Unis ont pu imposer une mesure aussi drastique, c’est en raison de leur poids économique et financier : aucune banque ne peut se couper du marché américain. Mieux vaut obtempérer, même si c’est coûteux. Pourquoi les Européens n’ont-ils pas fait pareil ? Tout simplement, parce que l’Europe est un grand pays qui s’ignore. Avant d’imposer une fatca au reste du monde, il faudrait déjà faire respecter la directive européenne de 2003, qui prévoit, au terme d’une période transitoire, l’échange automatique de certaines informations entre Etats membres, y compris l’Autriche et le Luxembourg. Mais la transition s’éternise. Par ailleurs, les questions fiscales se décident en Europe selon la règle de l’unanimité. Divisés, les pays européens négocient alors un par un avec les paradis fiscaux, comme des petits pays plutôt que comme une grande puissance. Mais la fatca américaine va nous aider : si les banques luxembourgeoises et autrichiennes lèvent le secret bancaire pour les américains, elles seront obligées de le faire aussi pour les Européens. Restera à convaincre Bermudes, Barbade et la petite Niué.

Chronique diffusée sur France Culture le 11 avril

 

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