Cannes 2018. Cinéma contre numérique et Intelligence artificielle, mortelle randonnée ?
L’intelligence artificielle s’impose à vive allure dans tous les pans de l’économie. L’industrie cinématographique n’est pas épargnée. Le sujet est plus sensible dans ce secteur car les inventions digitales toujours plus poussées impactent directement la création artistique. Alors que s’ouvre l’édition 2018 du Festival international du film de Cannes, 30 Nuances d’éco s’intéresse cette semaine aux effets du numérique sur la filière économique cinématographique, entre réorganisation nécessaire à l’heure des plateformes de streaming et effets… plus vraiment spéciaux.
Cannes et ses rituels, le tapis rouge et les stars. Les films rencontrent leurs publics dans les salles pendant que le jury délibère. Le marché du film, lui, se déroule en marge de l’éclat des paillettes. L’économie du cinéma est traversée par les changements induits par le numérique. « Comme dans d’autres pans de l’économie, le numérique est porteur de disruption : bouleversement des modèles économiques et arrivée de nouveaux entrants, nouvelles concurrences avec des acteurs économiques qui se jouent des règles nationales et qui optimisent leur comportement fiscal, difficulté à assurer la remontée de la valeur vers les créateurs et à se prémunir contre le piratage, désintermédiation et apparition de nouveaux usages où l’abonnement se substitue à l’achat à l’unité, nouvelles formes de prescription et de recommandation transitant par les réseaux sociaux », explique Françoise Benhamou.
L’arrivée de Netflix en France n’a pas déclenché le tsunami que l’on pouvait craindre. Mais les plateformes de SVOD (vidéo à la demande par abonnement) se sont imposées. Elles sont devenues le parfait complément de la salle. Qu’à cela ne tienne, le flirt entre Cannes et Netflix a fait long feu. Après avoir présenté deux films en compétition en 2017 – une première –, le géant américain boycotte cette année le Festival, qui n’a pas réussi à lui faire changer ses règles de diffusion en France. L’impasse se traduit par une absence de films Netflix dans toutes les sections de la 71e édition, tandis qu’Amazon a les honneurs de la compétition avec « Cold War » de Pawel Pawlikowski. Ce résultat ne satisfait personne car le Festival a dû renoncer à des films qui l’intéressaient – dont un pour la compétition – et la plateforme de vidéo par abonnement, qui ne cesse d’attirer de grands noms du 7e Art comme Martin Scorsese, se prive d’une vitrine prestigieuse.
Les plateformes de streaming posent plusieurs questions au monde de l’audiovisuel et du cinéma, dont celle de la loyauté de la compétition. Les chaines de télévision nationales doivent se soumettre à des obligations de financement de la création que les acteurs américains peuvent aisément contourner. Cela est en train de changer : Un accord provisoire vient d’être trouvé au sein de l’UE pour faire contribuer davantage à la création européenne les services de vidéo à la demande comme Netflix et Amazon. Désormais, grâce à l’accord conclu entre la Commission et les deux co-législateurs (Parlement et Conseil), les services de vidéo à la demande devront affecter 30% de leur catalogue à des productions européennes.
Mais le dernier enjeu de taille, et peut-être le plus intéressant, est celui qui permet de faire du numérique non plus une menace, mais une chance, en mettant en avant les films de niche, les moins exposés, qui peuvent trouver leur public grâce à la possibilité de rassembler virtuellement des publics physiquement dispersés. L’intelligence artificielle est de plus en plus présente dans les salles obscures. Comme l’explique Thierry Berthier : « Depuis trois décennies, Hollywood s’est emparé du sujet de l’IA et le décline désormais sous tous les angles qu’offre la science-fiction. S’il est facile aujourd’hui de recenser les succès et les échecs cinématographiques liés à l’IA, il est en revanche bien plus complexe de mesurer la puissance des biais cognitifs et des fantasmes qui orientent les scénarios actuels. Le traitement cinématographique de l’IA agit comme un révélateur fidèle de l’image que nous nous en faisons. Il projette à l’écran nos peurs ancestrales, nos biais de perception et nos fantasmes alors même que la montée en puissance de l’intelligence artificielle vient bouleverser notre quotidien ».
Tuera, tuera pas le cinéma contemporain ? Il est finalement assez difficile de savoir si l’intelligence artificielle, et les capacités disruptives du numérique, assureront à eux seuls le Grand Remplacement des acteurs et des techniques traditionnels. Selon Françoise Benhamou, « C’est tout l’enjeu des politiques culturelles de demain : soutenir l’audace artistique et aider à la faire connaître, par des soutiens ciblés plutôt que généralisés ». Par ce biais, il est possible de retrouver ce qui a longtemps fait la force du cinéma français, son inventivité, sa créativité, son indépendance.
Place à notre 10ème édition de 30 nuances d’éco : Les éclairages et décryptages précieux des membres du Cercle des économistes, pour comprendre notre environnement, toujours plus moderne, pourtant toujours plus rude.
En place, Silence ! Moteur!!