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Pourquoi nos économies ont-elles besoin de plus d’inflation ?

85ff6ccc889894811fb9af08a72000af-627x386Le juste niveau des prix anime le débat de manière récurrente en France. Mal vue par le consommateur, l’inflation est pourtant nécessaire à la bonne tenue de l’économie. Jean-Paul Pollin explique pourquoi il est urgent de disposer d’un indice des prix plus vigoureux qu’il ne l’est aujourd’hui.

Les statistiques d’inflation publiées en fin de semaine dernière ont encore inquiété les marchés. Elles ont fait état d’une nouvelle baisse de l’évolution du niveau général des prix au cours du mois passé, dans la plupart des pays avancés. Même en faisant abstraction des prix volatils, tels que ceux de l’énergie et des biens alimentaires, les taux d’inflation calculés d’une année sur l’autre (1% au Royaume Uni, 0.9 en zone euro…) restent bien loin des objectifs retenus par les banques centrales, à l’exception des Etats Unis.

Cette trop faible dérive des prix reflète l’anémie de la conjoncture. Mais elle en est aussi l’une des causes, car l’inflation est sans doute un ingrédient nécessaire pour une croissance soutenue. D’ailleurs en se fixant un objectif d’inflation positive (proche de 2%), même les banques centrales reconnaissent qu’elle a des effets favorables sur le rythme et la stabilité de l’activité. Sans entrer dans les détails on peut en donner trois justifications :

– D’une part l’inflation permet une adaptation plus facile de la structure des prix et des salaires qui conditionne une bonne allocation des ressources. Il existe en effet des rigidités nominales qui freinent cette adaptation : il est plus facile, par exemple, de faire baisser certaines rémunérations en termes relatifs (c’est-à-dire en les augmentant moins que d’autres et moins que l’inflation) plutôt qu’en termes absolus (en les réduisant en valeur nominale). Les directeurs des ressources humaines savent bien qu’il est plus compliqué de conduire des politiques salariales dans le contexte actuel de faible inflation.

– D’autre part, l’inflation implique une redistribution des ressources entre les agents économiques : elle est coûteuse pour certains d’entre eux, alors que d’autres en profitent. L’analyse précise de ce phénomène est un exercice complexe, mais globalement on peut dire que les perdants sont les agents à capacité de financement (ceux dont les dépenses sont inférieures à leur revenu), tandis que les gagnants sont ceux qui doivent financer un excès de consommation et/ou d’investissement par rapport à leur revenu. En conséquence l’inflation constitue un soutien à la demande globale et stimule donc la croissance.

– Enfin et surtout, une inflation trop basse limite la capacité d’action de la politique monétaire. Elle empêche la Banque Centrale de fixer des taux d’intérêt réels (nets d’inflation) suffisamment faibles, en situation de marasme conjoncturel et de rentabilité de l’investissement dégradée. Ne pouvant imposer des taux directeurs négatifs, elle devient incapable de réduire le coût du capital à un niveau compatible avec le plein emploi des capacités de production. Dans une telle situation la relance de l’économie, notamment celle de l’investissement, se trouve bloquée par la rigidité à la baisse du taux d’intérêt réel.

La faible inflation ne porte évidemment pas à elle seule la responsabilité de la panne de croissance que nous connaissons. Mais elle y contribue, et il n’y aura pas de rebond sans une inversion de la dynamique des prix. Le malheur est que l’on a perdu la recette de l’inflation et qu’en dépit de tous leurs efforts, les banques centrales elles-mêmes semblent incapables d’en fabriquer. De sorte que si l’on ne peut parler de déflation au sens strict, les mécanismes qui la caractérisent sont bel et bien à l’œuvre.

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