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Quelle réforme pour les retraites ?

Parmi toutes les propositions avancées pendant la campagne électorale par M. Emmanuel Macron, la réforme de notre système de retraite apparaît comme la plus ambitieuse : le candidat avait esquissé une réforme en profondeur visant à instaurer un « système universel, juste, transparent et fiable », s’opposant ainsi à une démarche de réformes paramétriques, mises en place à intervalle de plus en plus fréquent. Le programme présidentiel proposait d’unifier la formule de calcul des retraites afin que « chaque euro cotisé donne les mêmes droits », sans pour autant fusionner les différents régimes. Cette formule de calcul, inspirée de la réforme mise en place en Suède et appelée « comptes notionnels », vise à l’acquisition tout au long de la carrière de droits à la retraite dont la valeur ne dépend pas de futures réformes ou du statut particulier de l’assuré. Un tel mode de calcul se rapproche fortement des systèmes en point qui existent dans nos régimes complémentaires – au lieu d’être exprimés en points, les droits sont exprimés en euros, donnant ainsi plus de garanties pour les salariés sur la valeur des droits acquis. La grande différence avec le mode de calcul actuel dans les régimes de base tient à la prise en compte automatique de l’augmentation de l’espérance de vie, au fil des générations, afin de pouvoir garantir les droits à la retraite sur le long terme. Mais une fois la pension liquidée, la garantie du niveau de vie des retraités fonctionne comme dans le système actuel. Dans un tel système, la solidarité n’est pas absente. Bien au contraire, elle retrouve le sens d’une solidarité nationale, un caractère universel, où les droits non-contributifs ne sont pas propres à chaque régime mais communs à tous. Ils sont financés, comme aujourd’hui, par l’impôt et correspondent à l’objectif de tout système de protection sociale de réduire les aléas des carrières pour ceux qui les ont subis.

Le gouvernement a confié à M. Jean-Paul Delevoye, comme haut-commissaire à la réforme des retraites, la tâche de mener à bien cette réforme ambitieuse. M. Delevoye s’est attelé à consulter largement les parties prenantes afin de construire un consensus politique et social derrière la réforme. C’est un élément nécessaire, mais non suffisant pour faire de cette ambition une réussite politique. On peut voir ainsi deux écueils que le gouvernement devrait chercher à éviter. La première tentation est celle d’aller vite, en cherchant à bénéficier du début du quinquennat pour acter la réforme au plus vite. Le risque est alors grand d’aboutir à une réforme insuffisamment préparée. Une réforme structurelle impose un travail de préparation considérable – il faut revoir l’ensemble des règles du système –, et l’enjeu de long terme est tel qu’il serait absurde de risquer un échec opérationnel pour des considérations politiques. La seconde tentation serait, à l’inverse, de se décourager rapidement devant la tâche, de trouver dans les dernières projections du COR – qui suggèrent un déséquilibre financier plus important qu’envisagé auparavant – une excuse pour finalement s’en tenir à une unième modification paramétrique, laissant inchangé les dysfonctionnements actuels. Ce serait ainsi faire la démonstration de l’incapacité de la France à mettre en place des réformes de profondeur.

Une réforme structurelle d’ampleur est en effet une formidable opportunité pour améliorer le fonctionnement de notre système de retraite, « et en même temps » assurer sa soutenabilité financière sur le long terme. Les partenaires sociaux seraient d’ailleurs bien avisés d’en saisir toute la portée. Beaucoup professent leur attachement aux principes des origines de la Sécurité sociale, mais on ne saurait voir écart plus grand entre les ambitions originales des pères fondateurs et la réalité de notre système de retraite, balkanisé entre des régimes aux règles différentes et engendrant ainsi un sentiment d’inéquité. La réforme envisagée peut permettre de résoudre nombre de problèmes qu’il est difficile de régler dans le système actuel: mieux prendre en compte les carrières peu croissantes dans le privé, faire converger pour les fonctionnaires les droits sur le traitement et sur les primes, unifier les droits familiaux et les règles des pensions de réversion, réduire la sensibilité de notre système à la croissance, etc. On peut aussi mentionner le fait qu’une telle réforme peut permettre de mieux garantir la mobilité des salariés au sein de l’Union européenne : avec des droits facilement convertibles, il serait possible de mettre en place des transferts entre pays garantissant la protection des droits acquis dans chaque pays. Pourrait ainsi s’esquisser une Europe sociale, qui viserait à garantir des droits des assurés, quel que soit leur parcours professionnel.

Il y a donc là matière à des progrès sociaux tangibles et les difficultés de sa mise en place, bien réelles, ne devraient pas décourager tous ceux qui aspirent à un Etat social adapté au XXI siècle.

Antoine Bozio, Prix du meilleur Jeune Economiste 2017, maître de conférences à l’EHESS, PSE, directeur de l’Institut des politiques publiques (IPP)

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