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Remous géopolitiques : quel impact sur les stratégies des banques centrales ?

Amorcée aux Etats-Unis, la hausse des taux d’intérêt pourrait gagner bientôt l’Europe. Faut-il y voir un lien direct avec les tensions géopolitiques internationales ? Rien n’est moins sûr, selon  Bertrand Jacquillat. L’économiste décortique les vraies raisons qui guident actuellement les politiques monétaires de part et d’autre de l’Atlantique.

Les banques centrales sont de lourdes machineries qui ont leur propre agenda. Il en faut beaucoup pour que l’écume des remous géopolitiques affecte la façon de faire de ces énormes paquebots, modifie leur comportement et leur fonction de réaction. Ces lourdes machines ne devraient pas dévier de leurs routes, si tant est que les remous géopolitiques et les menaces protectionnistes sont le fruit de mises en scènes parfaitement contrôlées, en tout cas pour l’instant, tant les protagonistes sont conscients des effets dévastateurs qu’aurait la mise en œuvre  de leurs menaces. Restons-en donc aux analyses économiques classiques des deux principales banques centrales.

Chacune, la Réserve fédérale américaine d’un côté, la Banque centrale européenne de l’autre, poursuivent donc leur bonhomme de chemin. Certes, leurs chemins divergent, mais ces divergences ne devraient affecter significativement ni la parité monétaire de l’euro avec le dollar, ni les valorisations des marchés d’actions.

La Fed a recollé sa politique au cycle économique

Les Etats-Unis, et le nouveau président de la Réserve fédérale américaine Jerome Powell, ont relevé leur taux d’intervention. Le premier d’une suite annoncée de plusieurs hausses (trois ou quatre de 25 bp en 2018, et sans doute encore trois autres en 2019). A l’inverse, la zone euro continue à mener une politique monétaire expansionniste (avec des taux d’intérêt réels à court terme nuls, voire négatifs) tant que l’inflation ne fait pas son retour. Les deux banques centrales ne peuvent que constater que ni la croissance qui se perpétue aux Etats-Unis et qui s’est affermie dans la zone euro, ni la baisse du chômage, semblent faire revenir celle-ci.

Avec un taux de chômage d’environ 4% aux  Etats-Unis, l’inflation sous-jacente (hors effet prix des matières premières) est stable autour de 1,5%. Certes, le taux de chômage est beaucoup plus élevé dans la zone euro, autour de 8,5%, mais proche de son niveau d’équilibre structurel tant sont grandes les difficultés d’embauche des entreprises, et l’inflation sous-jacente reste stable, de l’ordre de 1,5%.

Dans cette configuration, la Réserve fédérale a choisi de modifier sa politique monétaire en recollant celle-ci au cycle économique plutôt qu’aux anticipations d’inflation, faibles aux Etats-Unis. Au contraire, la zone euro continue à mener une politique expansionniste tant que l’inflation ne sera pas au voisinage de 2%.

Hausse attendue de la parité euro / dollar

Ces divergences de politique monétaire n’ont pas autant d’impact sur les marchés financiers qu’on pourrait le craindre. La hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis et leur stagnation en zone euro devrait avoir pour conséquence une poursuite de l’écartement des taux d’intérêt entre les deux zones, en provoquant ainsi une hausse de la parité dollar euro. Si ce n’est que celle-ci est contrebalancée par la pression de la dépréciation du dollar liée à la politique budgétaire expansionniste qui aggrave le déficit commercial américain. Par ailleurs, les marchés d’actions ne devraient pas être particulièrement affectés par ces divergences.

La Réserve fédérale américaine recolle au cycle économique en augmentant ses taux d’intérêt, certes pour reconstituer ses marges de manœuvre en situation de retournement de cycle. Mais cette hausse annoncée, graduelle mais bien réelle, des taux d’intérêt  par la Réserve fédérale, signale aussi que cette dernière ne croit pas à une fin proche du cycle. Les valorisations des actions américaines ne semblent donc pas en danger, contrairement aux propos alarmistes tenus par de nombreux commentateurs depuis plusieurs mois, ni celles des actions de la zone euro. En effet, la prime de risque absolue des marchés d’actions de la zone euro est proche de sa moyenne historique, et la prime de risque relative (par rapport au taux sans risque) est encore très élevée du fait des taux d’intérêt faibles et appelés à le rester encore un certain temps.

Si les remous géopolitiques devaient fortement secouer les marchés financiers, le nouveau patron de la Réserve fédérale aurait probablement à cœur de reprendre à son compte les armes de ses prédécesseurs et d’adopter le «Powell put».

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