" Osons un débat éclairé "

Vers une nouvelle gouvernance de l’entreprise ?

La concrétisation des idées développées dans le rapport Notat-Senard marquerait un tournant majeur dans la conception des missions et de la gouvernance des firmes.

Depuis quelque temps, des prises de position se sont multipliées pour demander l’inscription dans le droit des sociétés de la responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise. Ces propositions sont au coeur du rapport Notat-Senard qui doit inspirer la loi Pacte. La reformulation des missions de l’entreprise contribuerait à redonner à la firme une légitimité que l’opinion publique semble aujourd’hui lui contester.

Il y a de ce point de vue beaucoup à faire. Car depuis trois ou quatre décennies, une littérature purement idéologique, importée du monde anglo-saxon, s’est acharnée à convaincre que l’entreprise devait être gérée en fonction des intérêts des seuls actionnaires.

Mobiliser le capital humain

Cette argumentation n’est pas vraiment de nature à diffuser une image consensuelle de la firme, mais surtout elle est radicalement fausse. Parce que la fonction de l’entreprise est d’organiser la collaboration d’un ensemble d’acteurs (ses parties prenantes) en vue de la réalisation d’un projet collectif. Elle se justifie parce que la coordination de ces acteurs ne peut pas reposer que sur des relations marchandes. Du fait des asymétries d’information touchant à l’évaluation des apports individuels ; de l’incapacité à écrire des contrats complets définissant les droits et obligations de chacun ; de la nécessité de nouer des relations durables entre parties prenantes sur la base d’objectifs et de valeurs partagés.

Un peu de réflexion sur la nature de la firme conduit donc à conclure que sa légitimité et son efficience supposent qu’elle soit gérée en fonction des intérêts de toutes ses parties prenantes, parmi lesquelles figurent les biens communs. D’autant qu’aujourd’hui ce n’est pas le capital financier qui constitue la ressource rare.

La question centrale est plutôt de mobiliser le capital humain (ce qui implique de lui reconnaître des droits de propriété) et de protéger les ressources naturelles non renouvelables. Dès lors, le rôle des dirigeants et du conseil d’administration consiste à trouver les bons compromis entre des intérêts qui peuvent s’opposer à court terme mais doivent se concilier dans le temps long.

Cette analyse est remarquablement développée dans le rapport Notat-Senard. Sa concrétisation marquerait un tournant majeur dans la conception des missions et de la gouvernance des firmes. Il faut cependant admettre que la prudence de certaines de ses propositions (clause de considération, formulation optionnelle d’une raison d’être, statut de l’entreprise à mission…) semble destinée à contourner une reconnaissance plus explicite des responsabilités de l’entreprise vis-à-vis de toutes ses parties prenantes. C’est là une concession faite à certaines fractions du patronat qui s’estiment dépossédées par cette autre vision de la firme.

Deux sujets à creuser

Deux véritables questions méritent une attention particulière si l’on veut sécuriser les objectifs et l’horizon de cette nouvelle gouvernance. D’une part, il se peut que le volontarisme en matière de protection des emplois (en situation de basse conjoncture, par exemple) ou de l’environnement (en s’imposant des contraintes sur les émissions polluantes notamment) conduise à des désavantages concurrentiels à court terme.

D’autre part, en dépit d’évolutions notables, l’horizon de la finance globalisée reste lui aussi largement court-termiste. Ce qui peut donner lieu à des désavantages de financement, des pressions d’actionnaires activistes… capables de fragiliser la gouvernance.

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