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Zone euro : des taux d’intérêt encore trop élevés

Zone euro des taux d'intérêtsUne évolution spectaculaire du printemps et de l’été 2014 a été le recul des taux d’intérêt à long terme dans la zone euro : l’Etat allemand s’endette à 10 ans à moins de 1 %, l’Etat français à 1,4 %, l’Espagne et l’Italie autour de 2,5 %.

Les raisons de ce recul impressionnant, non anticipé par la plupart des opérateurs, sont claires. Les investisseurs ont révisé à la baisse leurs perspectives de croissance et d’inflation en Europe; la liquidité mondiale reste très abondante, malgré l’arrêt du « quantitative Eesing » aux Etats-Unis, avec l’accumulation des réserves de change dans les pays émergents et exportateurs de pétrole (qui investissent 25 % de leurs réserves en euros), d’où un autre flux d’achat de titres en euros; l’excès d’épargne dans la zone euro, révélé par l’excédent extérieur de la zone euro (entre 2 et 3 % de son PIB) conduit naturellement à une baisse des taux d’intérêt d’équilibre; enfin la BCE a annoncé qu’elle maintiendrait durablement des taux d’intérêt courts presque nuls (ce qu’on appelle la « forward guidance »). On pourrait penser que des taux d’intérêt à long terme aussi bas feraient repartir l’économie de la zone euro. On a vu au premier semestre 2014 que ce n’était pas le cas; en particulier, le crédit aux ménages et aux entreprises est toujours en recul (-2 % sur un an), l’investissement des entreprises ne redémarre pas.

Cela n’est pas étonnant. Il ne faut pas regarder le niveau absolu des taux d’intérêt à long terme, mais le comparer à la croissance de long terme de l’économie. Si les taux d’intérêt longs deviennent inférieurs au taux de croissance, les taux d’endettement reculent, la valorisation des actifs financiers et immobiliers augmente, les entreprises et les ménages sont incités à investir davantage.

On observe ici une considérable différence entre la zone euro et les Etats-Unis. On doit d’abord évaluer la croissance potentielle en volume, c’est-à-dire la croissance réelle réalisable à long terme en fonction des gains de productivité et de l’évolution de la population active. Ce faisant, on obtient une croissance potentielle réelle à 10 ans de 0,3 % par an dans la zone euro et de 1,9 % aux Etats-Unis, cet écart considérable résultant à la fois des très faibles gains de productivité (0,5 % par an en moyenne) et du vieillissement démographique dans la zone euro. On doit ensuite évaluer la croissance potentielle en valeur. La tendance de l’inflation est au mieux de 1 % par an dans la zone euro (0,4 % aujourd’hui), au moins de 2 % par an aux Etats-Unis (1,9 % aujourd’hui).

La croissance à long terme (potentielle) en valeur serait donc de l’ordre de 1,3 % par an dans la zone euro, de 4 % par an aux Etats-Unis. Il faut enfin comparer cette croissance à long terme avec le taux d’intérêt à long terme (sur les dettes publiques). Pour l’ensemble de la zone euro, il est de 1,8 %; aux Etats-Unis de 2,4 %.

Aux Etats-Unis donc, avec des taux d’intérêt à long terme fortement inférieurs à la croissance, le soutien du désendettement, de l’investissement, de l’activité est considérable. Il n’est alors pas étonnant d’observer que le PIB y est aujourd’hui supérieur de 8 % à son niveau d’avant la crise, que le taux d’endettement des ménages et des entreprises est revenu à son niveau de 2004.

Dans la zone euro, avec des taux d’intérêt à long terme toujours supérieurs à la croissance, tout est plus compliqué. Le PIB reste inférieur de 3 % à son niveau d’avant-crise et le taux d’endettement du secteur privé a à peine diminué.

Malgré leur baisse, les taux d’intérêt de la zone euro restent donc trop élevés, essentiellement en raison de la très faible progression de la productivité : de 2008 à 2014, la productivité du travail stagne en Allemagne, augmente de 0,5 % par an en France, recule de 0,2 % par an en Italie, ne progresse qu’en Espagne. Une vraie amélioration de la situation de la zone nécessiterait l’inversion de la hiérarchie entre taux d’intérêt et croissance, d’autant plus difficile que la croissance nominale est faible, ce qui est l’essence même du risque déflationniste.

Que va-t-il alors se passer ?

D’une part, un mécanisme de marché. Il existe une force de rappel des taux d’intérêt à long terme vers la croissance nominale, puisque les prêteurs sont incités à acheter des obligations ayant des rendements supérieurs à la croissance. Même si cela paraît incroyable, il est possible que les taux baissent encore : les taux allemands vont-ils aller au niveau des japonais (0,6 % à 10 ans) ? D’autre part, comme on l’a vu le 4 septembre, une action de la BCE avec des achats d’ABS (de crédits titrisés par les banques), d’obligations sécurisées, des prêts à long terme aux banques à un taux d’intérêt très faible. Ceci ne réglera pas le problème de fond de la zone euro, qui est la faiblesse de la croissance potentielle, mais cela fera au moins disparaître le blocage qu’est le niveau, encore trop élevé aujourd’hui, des taux d’intérêt à long terme malgré leur chute récente.

 

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