" Osons un débat éclairé "

Le doux mirage des obligations vertes

Il faut réconcilier le court-termisme des marchés avec l’horizon long de la transition énergétique. Pour autant, il faut se poser la question de l’utilité réelle des obligations vertes.

Les enjeux climatiques ne sont plus à démontrer. Les mesures d’atténuation (pour enrayer la croissance des émissions de gaz à effet de serre) et les mesures d’adaptation (pour faire face aux conséquences physiques, sociétales et économiques) vont nécessiter des besoins de financement considérables. L’intervention des Etats et des régulateurs est nécessaire, tant pour mobiliser les financements que pour réconcilier le court-termisme des marchés financiers avec l’horizon long de la transition énergétique.

Une étape importante a été franchie par la loi de 2015 imposant aux investisseurs la mention, dans leurs rapports annuels, de leurs actions en faveur de l’investissement socialement responsable (ISR), dont la transition énergétique. Et force est de constater que l’on assiste à un réel engouement pour la finance verte…

Effet de substitution

L’émission d’OAT « vertes » de janvier dernier par l’Etat français ( pour un montant de 7 milliards d’euros et une durée de vingt-deux ans) a été ­largement commentée. Cependant, il ­convient de se poser la question de l’utilité réelle de cette émission et, plus généralement, de cette nouvelle tendance. En d’autres termes, les obligations vertes sont-elles un moyen de financer des projets nouveaux ou des projets qui ont déjà été programmés, ou permettent-elles simplement de voir la vie en rose en ces temps moroses ?

Pour l’Etat, il s’agit encore d’une entorse au principe de non-affectation des recettes aux dépenses, mais ce n’est pas la première. Il a « identifié » une dizaine de milliards éligibles au label vert… donc des dépenses déjà prévues ? Qui auraient été de toute façon financées par le budget, dont le déficit est financé par émission d’OAT ?

Certes, l’effet d’annonce est important pour montrer l’engagement de l’Etat français en ce domaine, mais il semble plus s’agir d’une substitution d’OAT vertes à des OAT à la vanille. Cet effet substitution a déjà été mis en évidence par Claeys et Leandro (juin 2016, Bruegel Institute) : sur les 55 premiers projets du Plan d’investissement pour l’Europe (plan Juncker), 54 d’entre eux (dont 5 concernant des investissements autoroutiers) présentaient une similarité avec les projets financés habituellement par la BEI, et ne justifiaient donc pas de la garantie du budget européen. Pourtant, ces projets étaient censés être plus risqués et plus innovants.

Effort louable, mais marginal

Quelle est l’efficacité des acteurs ­privés ? Les investisseurs institutionnels se concurrencent en termes de communication sur leurs investissements ISR et verts. Ceux qui se sont engagés représentent 45.000 milliards d’actifs sous gestion. Il faudra encore attendre avant que l’allocation de leurs portefeuilles ne se traduise en termes de rentabilité/risque : attendre que les secteurs les plus polluants aient effectivement des difficultés de finan­cement telles que cela engendre un ­surcoût de financement et attendre que le risque clima­tique soit effectivement évalué en ­termes monétaires dans les instruments financiers.

Les banques participent également à l’engagement climatique : émissions d’obligations vertes et annonces d’arrêt de financement des activités les plus polluantes contribuent à redorer leur blason. L’effort est louable, mais marginal, et conduit à des conflits d’intérêts ­passés sous silence.

Le moteur de la finance, et donc celui de la gestion d’actifs et celui de l’activisme actionnarial, demeurent néanmoins essentiellement liés à la rentabilité de court terme… Certes, la demande d’OAT vertes de la part des investisseurs domestiques et internationaux s’est ­élevée à 23 milliards pour 7 milliards alloués. A ce titre, elle a été un ­succès. Pour autant, cela ne doit pas faire oublier que l’écart de taux entre la France et l’Allemagne se creuse depuis quelques mois (de 20 points de base au 1er novembre à 73 points de base le 2 février). C’est l’ensemble de la dette publique française qui fait l’objet d’une moindre pondération dans les portefeuilles et qui reflète les inquiétudes ­véritables des investisseurs en cette période électorale. En finance, la « ver­titude » ne fait pas le poids face à ­l’incertitude.

 

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