" Osons un débat éclairé "

Agences de notation : damnées pour l’éternité ?

Depuis la crise financière, les agences de notations sont contestées par les Etats dont la note souveraine est dégradée. Un phénomène parti pour durer.

Dans cette avalanche de réformes, de chiffres et de tensions géopolitiques et populistes, les changements de notes souveraines par les agences de notation en septembre dernier sont presque passés inaperçues. Ainsi, sur fond de Brexit, Moody’s a dégradé la note du Royaume-Uni de Aa1 à Aa2. En réaction, le Trésor britannique a accusé Moody’s d’être « out of date » et de ne pas avoir tenu compte du discours de Theresa May.

L’agence S & P a, quant à elle, dégradé la note de la Chine (Moody’s l’avait fait en mai), de AA- à A +, évoquant la dynamique de la dette qui atteint (pour le secteur non financier) 257 % du PIB. En réaction, S & P a été accusé  par le gouvernement chinois d’avoir une analyse basée sur des « clichés obsolètes » et d’avoir pris une décision « erronée ». Les agences de notation sont une nouvelle fois dénigrées…

Culpabilité et encadrement

Ces réactions sont toutefois sans aucune mesure avec celles des cinq années qui ont suivi la grande crise. Non seulement ces dégradations auraient déclenché de véritables turbulences sur les marchés financiers, mais surtout les critiques étaient d’une tout autre dimension : opacité des modèles, manque de transparence, conflits d’intérêts avec le développement des activités de conseil et mauvaise évaluation des « subprimes »… Ces agences portent une part de culpabilité non négligeable dans les événements qui ont conduit à la crise. Elles ont d’ailleurs plusieurs fois été mises à l’amende.

Grâce à la crise financière, les agences de notation sont maintenant encadrées : elles doivent rendre publics leurs modèles et leurs principales hypothèses ; les conflits d’intérêts ont été atténués. L’Esma (l’Autorité de régulation des marchés européens) est l’unique régulateur et superviseur de ces établissements depuis 2011 dans l’UE et n’hésite pas à condamner les agences en cas d’infraction.

Avantage concurrentiel

Deux problèmes restent néanmoins à résoudre : celui lié aux débats actuels entre régulateurs bancaires de part et d’autre de l’Atlantique, et celui lié à la notation des Etats souverains. En effet, constatant la trop forte dépendance des banques et de la réglementation à l’égard des agences de notation, le dispositif de Bâle III a incité les grandes banques à recourir à leur modèle interne de notation afin de calculer leurs risques et leur besoin en fonds propres.

Sauf que les Etats-Unis n’acceptent pas cette règle et que l’autoévaluation des actifs risqués par les banques européennes donne parfois des écarts considérables avec ceux calculés en utilisant les ratings externes des agences. Les Américains y voient un avantage concurrentiel indu des banques européennes. Par ailleurs, la réglementation européenne autorise les dettes souveraines européennes à être pondérées comme un risque zéro.

Coopération limitée

Cette approche devrait être revue d’ici à 2020. D’où le second problème non résolu : quel type d’institution est à même de calculer et de fournir une estimation optimale du risque souverain ? Une agence internationale composée de représentants du FMI et des banques centrales qui disposent de plus d’informations et connaissent mieux les stratégies de politique économique ?

Hélas, les limites de la coopération n’ont pas permis la création d’une telle agence. Par contre, la Chine a créé sa propre agence de notation dès 1994 (Dagong), avec une filiale européenne agréée par l’Esma en 2012. En 2016, Dagong considérait que la Russie représentait un risque moindre que les USA, de quoi surprendre les Occidentaux, mais rassurer les Russes accusant les trois grandes agences occidentales de sous-estimer délibérément l’état de son économie.

Reléguées, à juste titre, au banc des accusés lors de la crise, les agences de notation ont quasiment disparu du devant de la scène. Cependant, puisque toute modélisation économique est par nature discutable, à chaque fois qu’elles dégraderont la note d’un Etat, elles seront toujours accusées d’incompétence et/ou de partialité. Donc damnées pour l’éternité !

 

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