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Assurance santé : concilier concurrence et solidarité

En France, pour bénéficier d’un accès aux soins sans barrière financière, il faut être couvert par une assurance complémentaire. Même si l’assurance maladie sociale rembourse près de 80% du coût des soins, ce n’est qu’une moyenne. Entre le forfait hospitalier, les franchises diverses, les tickets modérateurs, et les soins dont le prix dépasse le tarif de la sécurité sociale, une personne très malade peut être amenée à payer des sommes importantes, sauf si celles-ci sont prises en charge par une complémentaire.

Les complémentaires : un marché qui cache des inégalités

Le marché des complémentaires est très divers. Cette diversité peut répondre à des besoins ou des désirs d’assurance variables, mais elle cache aussi de fortes inégalités. La première de ces inégalités porte sur la différence de traitement entre les salariés du secteur privé et tous les autres. Les premiers sont tous couverts par une assurance collective, souscrite par l’employeur. L’État favorise ces contrats à travers une fiscalité avantageuse ; ils proposent en général une couverture de bonne qualité ; la part de la cotisation payée par le salarié est souvent fonction de son revenu, jamais de son âge.

A l’inverse, les contrats individuels ne bénéficient pas d’exonération fiscale, et offrent souvent des niveaux de garantie plus faibles. Surtout, la prime ou cotisation payée est systématiquement fonction de l’âge de l’assuré. C’est là une conséquence du fonctionnement concurrentiel du marché de l’assurance. Le prix reflète le coût de production du contrat, la « prime actuarielle », qui est la dépense moyenne prévisible ; or celle-ci est fortement croissante avec l’âge. Ainsi, chez les plus de 60 ans, selon un rapport de 2020 du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age, les 20% les plus pauvres consacrent en moyenne plus de 1000€ par an aux cotisations d’assurance complémentaire ; si l’on ajoute le coût des soins qui restent à leur charge, le total représenterait 10,6% de leur revenu. Chez les 25-45 ans, ce total est inférieur à 3% du revenu.

Un système d’assurance concurrentiel est-il la solution ?

D’autres pays européens, comme la Suisse, les Pays-Bas, l’Allemagne ou la Belgique, s’appuient sur un système d’assurance maladie concurrentiel. Cependant, tous ces pays interdisent la tarification des contrats d’assurance selon l’âge ou toute autre variable liée à l’état de santé. Toutefois, une telle interdiction incite les assureurs à sélectionner leur clientèle. Les jeunes ont en effet, en moyenne, une dépense de soins inférieure au tarif uniforme, l’inverse étant vrai pour les plus âgés.

Même si ces pratiques sont interdites par la loi, ces pays ont également mis en place un mécanisme visant à réduire ces incitations à sélectionner les risques. Ce mécanisme, dit « compensation des risques », est un dispositif par lequel les assureurs couvrant une population en moyenne plus jeune (ou en meilleure santé) doivent payer une taxe, alors que ceux couvrant une population plus âgée reçoivent une subvention. Le montant payé ou reçu reflète la différence de coût moyen entre le périmètre assuré et la population générale. Sélectionner les risques perd de son intérêt : couvrir une personne en bonne santé conduit à une dépense de soins moindre, mais à une taxe plus élevée.

Concilier concurrence et solidarité

De tels mécanismes limitent efficacement les pratiques de sélection des risques. Ils permettent en même temps que chaque assuré paie la même prime d’assurance santé, indépendamment de son âge ou de sa santé. Une telle régulation serait bienvenue en France. En effet, elle permet de bénéficier des avantages de la concurrence en termes d’innovation, de qualité de service et de modération du coût, tout en conservant un principe fort de solidarité entre malades et bien portants.

 


 

Pierre Yves-Geoffard est membre du Cercle des économistes, professeur à l’École d’Économie de Paris et directeur d’études à l’EHESS

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