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Boom des rachats d’actions par les entreprises : bon ou mauvais signal ?

Si les plans de rachats d’actions sont nettement plus répandus aux États-Unis qu’en Europe, ces opérations se développent de plus en plus en France, même si cette dynamique s’est vue fortement entravée par la crise sanitaire. Cette pratique consiste, pour une société cotée en bourse, à racheter une quantité donnée de ses propres actions – dans la limite de 10 % de son capital en France – puis, dans la plupart des cas, à les détruire, conduisant mécaniquement à une réduction du nombre d’actions et du capital social de l’entreprise émettrice. Quels sont les effets attendus ?

Une hausse « artificielle » du cours des actions

Cette double réduction du nombre d’actions et du capital a pour conséquence un accroissement de certains ratios financiers clés comme le bénéfice par action, le rendement et les cash-flows. Le rachat d’actions profite en conséquence à l’actionnaire. Il voit ainsi son bénéfice par action et son dividende augmenter. Cet effet relutif s’accompagne fréquemment d’une hausse des cours des titres concernés. Les augmentations des ratios financiers tendent en effet à attirer les investisseurs ; l’accroissement de la demande tirant dès lors à la hausse le cours des actions en question. Cette dynamique –  « artificielle », car résultant d’un effet mécanique – permet en outre aux entreprises de revaloriser leurs actions qu’elles jugent sous-évaluées.

Au-delà de ces effets et de l’opportunité fiscale, quels sont les signaux envoyés par une entreprise rachetant ses propres actions ? La réponse est loin d’être évidente. Tout d’abord, le rachat d’actions peut être perçu négativement. Il reflète alors un manque de perspectives en termes d’investissement, de projets de développement et de stratégie de la part des entreprises concernées à moyen/long terme. Cet effet est d’autant plus accentué que la politique de rachat d’actions est répétitive et, surtout, que celle-ci freine l’investissement des entreprises. Une société rachetant ses actions peut ainsi laisser penser qu’elle a atteint ses limites en termes de croissance. Elle n’aurait également pas trouvé de meilleur moyen d’investir sa trésorerie.

Une pratique à interpréter au cas par cas

Toutefois, la nature de la firme importe fortement. En effet, si la société rachetant ses actions est une jeune entreprise en croissance, le signal envoyé est mauvais. Il n’augure alors pas de perspectives de développement favorables. En revanche, s’il s’agit d’une firme mature, bien établie, le signal est tout autre. L’entreprise montre alors qu’elle est confiante en son avenir. Elle montre qu’elle est à même de racheter ses actions tout en continuant à investir et innover. Il n’est qu’à prendre l’exemple d’Apple qui est l’une des sociétés pratiquant le plus le rachat d’actions.

L’Europe est très en retrait par rapport aux États-Unis en termes de rachats d’actions. Mais il est fort probable que cette pratique gagne du terrain, en particulier en France. Mis en sommeil avec la crise sanitaire du fait notamment des aides gouvernementales instaurées, d’importants plans de rachats d’actions ont d’ores et déjà été annoncés pour 2021 et 2022, à l’instar de Carrefour, L’Oréal ou LVMH. Dans la phase actuelle de reprise, les signaux envoyés sont perçus positivement. Ils indiquent que les entreprises ont traversé la crise et anticipent de bons résultats.

Au total, il n’est pas possible de raisonner dans l’absolu pour conclure si le signal envoyé par les rachats d’actions est positif ou négatif. Il convient, pour interpréter correctement cette pratique, de prendre en compte la nature de la société et la phase du cycle dans laquelle se trouve l’économie.

 


 

Valérie MIGNON est membre du Cercle des économistes, professeure d’économie à l’Université Paris Nanterre, chercheuse à EconomiX et conseillère scientifique au CEPII.

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