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Climat : la France avance-t-elle à «petits pas» ?

Nicolas Hulot a déploré que notre pays n’avance pas assez vite sur les questions environnementales. Le principal problème est que, sur un sujet par définition global, elle ne peut avancer seule.

Nos concitoyens sont sans doute aujourd’hui perplexes. Depuis Jacques Chirac et son interpellation onusienne sur  la « maison qui brûle » , hors de notre regard détourné, tous les présidents (de droite, de gauche et d’ailleurs) ont affiché l’environnement parmi leurs priorités.

Et les « hauts faits » se sont enchaînés depuis le milieu des années 2000 : loi sur l’eau, Grenelle I et II, loi de Transition énergétique pour la croissance verte, taxe carbone, loi biodiversité, COP21, Accord de Paris, « Make our planet great again »… Pourtant, il y a peu, un ministre très respecté a déploré, la mort dans l’âme, que la France n’avance qu’à « petits pas » , au terme d’un été préfigurant le pire.

Transformation profonde

Tentons de comprendre. Ce qui suppose de définir le problème à son échelle, c’est-à-dire planétaire, puisque la menace procède de pollutions globales. Limiter la hausse de la température à 2 °C à la fin du siècle implique de diviser les émissions mondiales de CO2 par 3 d’ici à 2050, c’est-à-dire de revenir au niveau de 1970, avec entre-temps un PIB multiplié par 7 (une limitation à 1,5 °C renverrait aux émissions de 1950, avec un PIB décuplé et une population mondiale quadruplée).

« Changer de trajectoire », selon les termes de Nicolas Hulot, revient donc à inventer en l’espace de 2 ou 3 décennies un nouveau modèle macroéconomique, en rupture avec celui issu de la première révolution industrielle, hautement intensif en carbone. Et cela alors que charbon, pétrole et gaz représentent aujourd’hui 82 % du bilan énergétique mondial.

A l’évidence, le seul remplacement de centrales à charbon par des éoliennes et des panneaux photovoltaïques n’y suffira pas. Une transformation profonde de l’organisation des sociétés s’impose (habitat, transport, agriculture, industrie, chaînes logistiques, commerce international même…), sans exemption aucune. D’autant que, au milieu de ce siècle, il s’agira d’organiser un monde urbain pour 70 % d’humains (de 80 à 90 % dans l’OCDE), et où les villes de 10 millions d’habitants et plus seront légion, notamment en Afrique.

Les turbulences associées à ce changement de modèle traversent des nations bien plus durement que la France : elles partagent en deux les Etats-Unis, avec d’un côté une Alliance pour le Climat regroupant 17 Etats fidèles à l’Accord de Paris (et pesant 4.000 milliards de dollars de PIB), tandis que, de l’autre, les Etats miniers espèrent en un hypothétique retour sur le trône du charbon roi, comme promis par Donald Trump. Et l’opposition des nations entre elles ne sera pas moins violente, puisque la macroéconomie « bas carbone » démonétiserait les ressources de pays comme la Russie, l’Arabie saoudite ou l’Algérie, qui ne seront pas tous préparés comme la Norvège à ce bouleversement.

Beaucoup de règles, peu d’évaluations

Qu’en est-il de la France ? Selon l’Agence européenne de l’environnement, notre pays se distingue par une production de règles particulièrement dense, au premier rang de l’UE avec la Belgique, mais avec une faible propension à l’évaluation (à la différence de l’Allemagne).

Certes, l’horizon et  les modalités de réduction de la part du nucléaireconcentrent les attentions. Comme l’Allemagne, la France découvre qu’il est difficile de « dénucléariser » et « décarboner » concomitamment. Pourtant, l’essentiel, en termes de lutte climatique, est probablement ailleurs : la  loi sur la transition énergétique prévoit une rénovation massive de l’habitat (500.000 logements par an) qui peine à décoller alors que cet objectif fait largement consensus ; la fiscalité carbone pèsera de plus en plus dans le prix final des produits pétroliers et posera un problème d’acceptabilité si le baril rejoint les 100 dollars (contre 30 en 2016) ; dans le débat ferroviaire, la dette n’a été traitée que comme un fardeau, alors qu’il s’agit d’un investissement massif dans la décarbonation… Derrière ces difficultés, dans un pays dont 5 millions de ménages peinent à assumer leurs dépenses d’énergie, l’enjeu est d’accélérer la transition tout en réduisant les fractures sociales et territoriales.

Mais, quelle que soit la métrique des « pas », la France pesant moins de 1 % des émissions mondiales, nous n’inverserons pas la trajectoire dans le seul périmètre de nos frontières. L’efficacité et l’équité invitent à regarder au sud de la Méditerranée, où 600 millions Africains n’ont pas d’accès à l’électricité. Investir massivement dans la transition énergétique en Afrique constituerait, sans discussion, un très « grand pas ».

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