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Consolider l’Europe bancaire et financière

Les récentes crises ont poussé l’Europe à chercher une autonomie stratégique et relancent la question d’une consolidation des secteurs bancaire et financier au niveau européen. Christian de Boissieu analyse les évolutions récentes de l’Europe en la matière et les défis auxquels elle devra faire face.

Si certaines crises engendrent plus d’Europe, ce ne sont pas les avancées, d’ailleurs en dents de scie, dans l’intégration européenne qui en tant que telles suscitent des crises.

Plus, et surtout mieux d’Europe ? La crise financière, le Covid et maintenant la guerre en Ukraine ont poussé l’Europe à rechercher « l’autonomie stratégique », donc une part de souveraineté, à une échelle supranationale. Cette ambition est affichée aujourd’hui pour nombre d’industries. Elle doit aussi s’appliquer à la consolidation de l’Europe bancaire et financière.

La très lente mise en place de l’union bancaire

L’union bancaire (UB) vise avant tout à améliorer la résilience des banques de la zone euro. Le premier volet de l’UB concerne la mise en place d’une supervision des banques à l’échelle européenne. A ce titre, la BCE supervise directement les grandes banques de la zone. Sous cet angle, l’UB fonctionne correctement.

Le second pilier consiste à mettre en œuvre, pour des banques au bord de la faillite, des procédures de résolution au niveau européen. Avec l’intention de privilégier le sauvetage de ces banques par de l’argent privé (« bail-in »). L’idée est excellente. Seulement, en pratique et je pense au cas de certaines banques italiennes mais pas seulement, les Etats ont dû depuis quelques années intervenir, en contradiction avec l’objectif précédent. La revendication de la souveraineté nationale contraint forcément les projets de coopération et d’intégration.

Le blocage essentiel porte sur le troisième pilier, le passage progressif à un système européen de garantie des dépôts coiffant les dispositifs nationaux existants. Nous sommes quasiment à l’arrêt sur ce point. L’Allemagne ne veut pas prendre le risque de payer pour les autres, mais elle n’est pas la seule à renâcler. L’actuel chancelier allemand et son équipe ont l’air plus ouverts en la matière que leurs prédécesseurs. Mais, pour les Allemands, les progrès pour l’UB doivent être connectés à ce qui concerne l’union des marchés de capitaux. L’UB pourra-t-elle demeurer partielle et donc bancale ?

Le plan d’action pour l’union des marchés de capitaux (UMC) a été présenté en 2015, donc avant l’adoption du Brexit par les Britanniques. A l’époque, il s’agissait de faire l’UMC avec la place de Londres. Désormais, il s’agit de la réaliser sans, et même contre elle !

Les enjeux de l’UMC vont au-delà de la coopération et de l’intégration des places financières de l’UE, puisque la compétitivité de nos entreprises, y compris des PME, est directement concernée via leurs conditions de financement.

L’Europe doit accepter la concentration bancaire

Les différents dossiers de l’UMC sont à l’arrêt, pour de bonnes raisons – la pandémie et la guerre en Ukraine – mais aussi pour de moins bonnes comme des désaccords persistants sur les pouvoirs du régulateur financier européen (l’ESMA).  Il va falloir assez vite relancer l’UMC, en privilégiant quelques dossiers : la relance de la titrisation en Europe, les financements à disposition des PME y compris l’essor du « private equity », l’adoption rapide de règlements mettant de la transparence et de l’ordre dans tout ce qui touche à la finance « verte » …

Face aux mastodontes bancaires chinois, américains, japonais… l’Europe doit accepter la concentration bancaire, comme d’ailleurs la concentration industrielle. La grande taille engendre souvent des effets d’échelle positifs. Elle peut faciliter la mise en œuvre de stratégies plus offensives vis-à-vis des fintechs et autres plateformes digitales.

 


 

Christian de Boissieu, vice-président du Cercle des économistes et professeur émérite à l’université Paris-1

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