" Osons un débat éclairé "

Courbe du chômage : infléchir ou réfléchir ?

Cibler la seule baisse sur un an des chômeurs de catégorie A n’est pas une politique. Il faut s’attaquer au chômage de masse, fruit de la faible rentabilité de nos entreprises.

Chaque mois, on attend le verdict de Pôle emploi sur le nombre de chômeurs. Désormais, il ne s’agit plus de savoir si François Hollande se représentera, lui qui voulait tant « infléchir la courbe du chômage », mais plutôt de réfléchir à ce qu’elle signifie.

Revenons aux derniers chiffres. En décembre 2016, Pôle emploi compte 3.473.100 demandeurs de catégorie A en France métropolitaine (sans emploi et libres immédiatement pour un emploi à temps plein). C’est +0,8 % sur un mois : la courbe s’infléchit dans le mauvais sens. Mais les commentateurs notent alors que, sur trois mois, la baisse a été de 0,5 % (-17.400 personnes) et de 3 % sur un an (-107.400 personnes). La tendance est bonne.

Baisse en trompe-l’oeil

Par malheur, ce seul chiffre instable qu’on regarde ne dit pas tout, au contraire. Certes, le nombre de chômeurs commenté (catégorie A) a baissé de 107.400 sur un an, mais ceux de catégorie C, en activité réduite longue (plus de 78 heures dans le mois), ont augmenté de 105.000 sur l’année ! C’est un « chômage partiel subi », complémentaire de l’emploi à temps partiel et tout autant subi. Ajoutons que le nombre de personnes en formation et non tenues de chercher un emploi a augmenté de 68.000. Au total, derrière la baisse sur un an des chômeurs de catégorie A, il y a plus de chômeurs à temps partiel et de formations à temps plein !

Vouloir infléchir la courbe du chômage a politiquement poussé à offrir des programmes de formation et des aides aux PME pour l’embauche de salariés jusqu’à 1,6 SMIC, tandis que le marasme de l’emploi a conduit des chômeurs à prendre des emplois à temps partiel, au moins pour nombre d’entre eux. Polariser l’attention sur les chômeurs de catégorie A pousse les autorités à en réduire le nombre (orientations, formations, subventions…), ce qui politise un problème surtout économique.

Le vrai problème

Car c’est le chômage de masse qui est en jeu, avec l’affaiblissement, également de masse, de la compétitivité française. Derrière, il a les causes toujours mises en avant : formations inadéquates, qualité insuffisante des produits et faiblesse à l’export, blocage du dialogue social, entreprises trop petites, entrepreneurs trop timorés, règles trop contraignantes… Elles ont leur part de vérité, mais ne rendent pas compte de l’importance et de la persistance du problème, avec son origine commune.

Or la rentabilité des entreprises en France (excédent brut d’exploitation/valeur ajoutée) est de 31,4 % en France contre de 35 à 36 % en Allemagne. Le CICE a permis de regagner deux points de pourcentage, soit de réduire l’écart d’un peu moins de moitié. La faiblesse du « surplus distribuable » entraîne celle de l’investissement qui freine la productivité, donc la croissance. La « spirale vicieuse française », qui nous enfonce, a ainsi une double source : en économie une rentabilité trop faible, en entreprise un débat insuffisant.

La dette française détenues par les Chinois et Japonais

On comprend que vouloir remonter la compétitivité et la productivité françaises, sans rêver de dévaluer ou de s’endetter sans limite, réduit l’ambition des programmes et force à revenir sur terre. Chaque jour, pour « tourner », le Trésor emprunte 800 millions d’euros dont 250 viennent de notre épargne et le reste de nos amis Chinois, Japonais…, qui détiennent 60 % de notre dette. Il faudra bien, un jour, regarder ce chômage de masse. Après l’agriculture et l’industrie, il frappe aux portes des services bancaires et financiers.

Plutôt que de commenter des chiffres mensuels qui envoient une vision déformée du problème, mieux vaudrait aller à sa source : une rentabilité faible qui pèse sur l’investissement en capital et, aujourd’hui surtout, en capital humain. C’est moins « primaires », moins fun, peut-être plus important. C’est surtout plus difficile, dès lors qu’on a le courage de réfléchir… les yeux ouverts.

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