" Osons un débat éclairé "

De la complexité de l’Europe

imagesQuelle solution offrir aux migrants qui se pressent aux portes de l’Europe ? Faut-il pratiquer un accueil massif ? Quelle résilience face au terrorisme ? Quelles solutions au chômage de masse ? Comment retrouver la croissance économique ? Faudra-t-il affronter le Brexit ? L’euro a-t-il un avenir ?  Quelle gouvernance pour l’Europe ?

 

INTRODUCTION

Des épreuves et des obstacles, l’Europe en a rencontré plus d’un pendant sa longue – ou encore si courte – existence. Mais plus que jamais, l’Europe semble à la croisée des chemins. De la crise des migrants à la lutte contre le fléau numéro un qu’est le chômage, en passant par le terrorisme ou sa crise de croissance… économique, l’Europe se cherche encore.

L’Europe est morte, vive l’Europe ! Ce thème formulé de manière audacieuse, pour ne pas dire provocatrice, a été abordé lors des dernières Rencontres Economiques organisées à Aix-en-Provence par le Cercle des économistes, début juillet 2016. L’occasion de mettre sur la table les grands défis actuels et futurs de l’aventure européenne, dont les questions lancinantes autour de la viabilité de l’euro.

Est-il nécessaire de « quitter l’euro pour sauver l’Europe », comme l’écrit l’économiste américain, et Prix Nobel d’Economie (2001), Joseph Stiglitz, dans son dernier livre ? Les problèmes rencontrés aujourd’hui par l’Union étaient-ils prévisibles ? La manière dont s’est créée l’Europe portait-elle en germes les nombreux aléas auxquels elle est confrontée depuis près de 50 ans ?

Ce Décryptage éco propose de remonter à la source et de s’interroger sur les solutions possibles.

 

I. Eléments du débat

I. Panorama des institutions européennes

1. La cacophonie des institutions européennes

« Du concert des nations à la cacophonie des organisations », l’Europe et sa construction régionale ont fait un bout de chemin selon François Danglin (2011) . Ce constat est d’autant plus important qu’il nous interroge sur le fonctionnement et l’architecture de la construction européenne, à l’heure où le Royaume-Uni est décidé à sortir de son institution phare – l’Union européenne –,   selon Serge Halimi.

Pour comprendre la complexité de l’Europe, il faut comprendre que la construction européenne est vaste et hétérogène. L’ensemble européen réunit en son sein une multitude d’espaces et d’institutions indépendantes et interdépendantes les unes des autres, dont notamment :

 

  • la construction européenne et ses différents espaces institutionnels (Source: Financial Times)

     

La construction européenne s’est faite sur la base d’un ensemble aux formations variées et aux institutions multiples. Selon Michel Mangenot (2011) , « il ne reste plus grand-chose [du] système inaugural » de la construction européenne : « les principes fondateurs ont été progressivement remis en cause » pour laisser place à une mécanique institutionnelle bien rodée.

Michel Mangenot (2011)  note que l’hétérogénéité des institutions européennes est le résultat d’un développement discontinu de la construction européenne depuis les années 50 selon différentes approches. En effet, les institutions européennes se sont appuyées sur trois approches distinctes :

– La première a été l’approche de l’école de la responsabilité, dans laquelle les institutions européennes ont une responsabilité administrative supranationale, mais sans pouvoir politique réel

– La deuxième a été l’approche de l’école de l’opportunité, dans laquelle les institutions européennes exercent une fonction intergouvernementale pour maximiser les intérêts nationaux

– Enfin, une approche de l’école constructiviste, dans laquelle les institutions européennes exercent une fonction normative, combinant une dimension supranationale pour l’intérêt de l’ensemble, et une dimension intergouvernementale pour accompagner les intérêts nationaux.

 

2. L’Union européenne : convergence, prospérité et cohésion sociale

Fruit des anciennes institutions européennes – crées pour assurer « les conditions d’une paix durable sur le Vieux Continent » à la suite de la Seconde Guerre mondiale –, l’Union européenne a été instituée par le traité sur l’Union européenne (TUE) , signé à Maastricht le 7 février 1992,  en reprenant les bases de la Communauté économique européenne 

Cette institution est une organisation à laquelle les États membres ont transféré une partie de leurs compétences. Elle est particulière au sens qu’elle n’est ni une fédération, ni une confédération d’États, ni une organisation internationale.

L’Union européenne est souvent citée comme une union unique en son genre.

Bien que le Royaume-Uni souhaite en sortir, l’Union européenne compte encore, en 2016, vingt-huit États membres : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Lituanie, la Lettonie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède.

Ce nombre de pays est le résultat d’un long processus d’élargissement depuis 1957. Cependant, selon Nicolas Pichat dans le journal les Échos, la date du 23 juin 2016 marque la date de la première contraction européenne avec le vote favorable des britanniques pour le Brexit  .

Ce constat est partagé par Alain Terrenoire (2013)  qui rapporte que « l’Union européenne est, dans un contexte de crise très profonde, à la croisée des chemins » : l’UE doit chercher à renouveler son projet par l’intégration si elle ne souhaite pas entrer dans un processus de dislocation.

 

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Figure 2 Carte de l’Union européenne (Source: Toute l’Europe )

 

Pour comprendre le projet européen, il faut d’abord s’intéresser à ses objectifs et son fonctionnement. Comme souligné dans le dossier de Vie publique , les objectifs initiaux de l’Union européenne sont :

1. « Renforcer une communauté de démocratie, de droits et de culture » ;

2. « Soutenir l’économie européenne » ;

3. « Agir pour un développement durable » ;

4. « Affirmer la place de l’Europe dans le monde ».

Le rapport des cinq présidents met en évidence que ces objectifs poursuivis par l’UE sont guidés par la notion de convergence. La notion de convergence est au cœur du développement de l’UE. Ces objectifs visent à aboutir à :

– « La convergence entre les États membres vers les plus hauts niveaux de prospérité »

– « La convergence au sein des sociétés européennes, pour faire prospérer [le] modèle européen ».

Depuis 1993 – date d’entrée en vigueur du traité de Maastricht –, l’UE était fondée sur trois piliers :

– Le pilier communautaire – constitué de la Communauté européenne, la CECA et la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom);

– Le pilier de la politique étrangère et de sécurité commune ;

– Le pilier de la coopération policière et judiciaire en matière pénale

 

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Figure 3 Les trois piliers de l’Union européenne (Source: CVCE.eu)

 

Cependant, cette structure en piliers a été supprimée depuis le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009. Depuis, l’UE joue un rôle accru en se substituant aux différentes communautés.

Chaque pays préside à tour de rôle le Conseil de l’Union européenne pour une période de six mois, dans le cadre d’un programme défini par trois pays. La présidence tournante du Conseil de l’UE a été choisie pour accroitre le rôle des pays dans la prise de décision.

Le rapport des cinq présidents rend compte de la nécessité d’affirmer l’implication des pays dans la construction européenne. Ainsi, chaque État membre doit prendre en compte non seulement son territoire national, mais les externalités sur l’ensemble de l’Union européenne.

 

3. La zone euro : caractéristique d’une union économique et monétaire

La zone euro marque la particularité de l’Union européenne. Elle est un ensemble économique et monétaire regroupant les États souverains ayant fait le choix d’adopter une monnaie unique – l’euro – comme monnaie nationale.

L’Union économique et monétaire de l’Union européenne a été lancée par le Traité de Maastricht en 1992. Elle repose sur deux volets :

– La création d’une monnaie unique – l’euro

– La coordination des politiques économiques et budgétaires des États membres au sein de l’union.

La monnaie unique a été mise en place en 1999 par 11 des 15 pays de l’UE. Elle devait initialement s’étendre pour intégrer l’ensemble des pays européens.  Cependant, quelques États membres de l’UE sont absents de cette zone comme notamment la Suède, le Danemark, la Pologne, la République tchèque ou le Royaume-Uni.

Comme définie par la Banque Centrale européenne , la zone euro est constituée de dix-neuf États membres : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, Chypre, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la Slovaquie et la Slovénie.

 

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Figure 4 Carte de la zone euro (Source: Toute l’Europe)

 

La zone euro est régulée par :

– Le Système européen des banques centrales (SEBC) – constitué par l’ensemble des banques centrales nationales des États membres de l’Union européenne

– L’Eurosystème – constitué de la Banque centrale européenne (BCE) et les Banques centrales nationales des États membres de la zone euro.

Selon le dossier de Vie Publique,  la mise en place de l’euro a eu pour vocation de :

– Approfondir l’intégration européenne en transférant un élément de la souveraineté des États à l’Union

– Mettre fin aux politiques de dévaluation compétitive entre les monnaies nationales des pays membres de l’UE qui fragilisé l’ensemble du projet européen ;

– Renforcer les marchés intérieurs nationaux en créant un marché unique au sein de l’Union ;

– Réduire les coûts des opérations de change au sein de l’UE pour renforcer la compétitivité internationale des entreprises européennes ;

Elle est, en ce sens, une pierre angulaire pour la coopération entre les États membres, et ouvre la voie à un approfondissement des politiques européennes.

Comme rapportés par l’INSEE  , les États membres de cet espace économique et monétaire sont tenus de maintenir :

– « le taux d’inflation d’un État membre donné ne doit pas dépasser de plus de 1,5 point celui des trois États membres présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix » ;

– « leur déficit public en dessous de 3% du PIB et leur dette publique inférieur à 60% du PIB, sauf circonstances exceptionnelles ».

Or, certains de ces critères du Pacte de stabilité et de croissance – notamment celui concernant le déficit et la dette publique – ne sont pas respectés par l’intégralité des États membres. C’est le cas, notamment, de la France, pourtant un des pays initiateurs du Pacte de stabilité et de croissance. D’après  l’INSEE , la France a un niveau de déficit public de 3,5% et une dette publique atteignant à 97,5% du PIB.

Cependant,  Joseph Stiglitz souligne que les critères du Pacte de stabilité et de croissance ne sont pas le plus grand problème de la zone euro. Pour cet auteur, l’euro – dans sa configuration actuelle – est devenu un véritable problème pour l’Europe.

Les limites de l’euro sont la conséquence des « faiblesses constitutives de la monnaie unique ».

Ces affirmations sont partagées par Patrick Artus  qui rend compte que la gestion de la monnaie unique, couplée à des faiblesses constitutives, produit de grandes hétérogénéités dans la zone. Une triple hétérogénéité s’est mise en place au sein de la zone euro :

– Une hétérogénéité produite par une spécialisation entre les pays membres de la zone euro

– Une hétérogénéité de la solvabilité des Etats membres de la zone euro compte tenu de la situation des finances publiques et des taux d’intérêt de ces États ;

– Une hétérogénéité des niveaux de revenus compte tenu de la spécialisation des États membres de la zone euro.

A l’image de Joseph Stiglitz , Patrick Artus  appuie la nécessité d’une reconfiguration structurelle de la zone euro et le développement de mécanismes permettant un ajustement pour les pays souffrant des hétérogénéités de la zone.

Pour Emmanuel Mourion-Druol  l’histoire de l’euro ne doit pas se limiter à une vision purement économique de la zone euro. La monnaie unique est l’étendard de la consolidation du marché commun et l’affirmation de l’Europe.

 

II. Responsabilité démocratique, légitimité et renforcement institutionnel

1. La prise de décision au sein de l’Union européenne

 

Comme mentionnée dans le dossier de la documentation française , « l’Union européenne a beau avoir une assemblée élue, des députés, des rendez-vous électoraux, elle traverse une profonde crise démocratique ». Le fossé entre les citoyens européens et l’Europe semble se creuser, en dépit du renforcement de la prise de décision démocratique au sein des institutions européennes.

Ce fossé est alimenté par une incompréhension du fonctionnement de la prise de décision  au sein des institutions européennes et de l’importance de ces dernières. Comment les décisions sont-elles prises au sein de l’Union européenne ?

Le dossier de Vie publique  souligne que les décisions de l’Union européenne sont prises à travers une procédure de codécision entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil européen. Les décisions, et les textes législatifs de l’Union européenne sont décidés par une procédure en quatre étapes :

1. La Commission européenne présente une proposition

2. Le Parlement européen – représentant les citoyens des États membres – donne son avis sur la proposition de la Commission, à la majorité simple

3. Le Conseil de l’UE se prononce ensuite sur tous les amendements acceptés ou modifiés par le Parlement européen

4. Le Parlement européen et la Commission se prononcent en deuxième lecture si le Conseil de l’UE adopte une position commune à la majorité qualifiée sur certains amendements.

Les décisions et différents actes sont adoptés lorsque les trois institutions les approuvent dans les mêmes termes après les différentes lectures. Les décisions et différents actes de l’Union européenne peuvent être :

– Soit, sous la forme juridique d’un règlement, auquel cas il s’applique directement à l’ensemble des membres de l’Union européenne ;

– Soit, sous la forme juridique d’une directive  , auquel cas les États membres sont tenus, dans un certain délai, de transposer cette directive dans leur droit national.

Comme mentionnées dans le rapport de Jean-Claude Juncker, Donald Tusk, Jeroen Dijsselbloem, Mario Draghi et Martin Schulz , « les responsabilités accrues et l’intégration approfondie au niveau de l’UE et de la zone euro devraient aller de pair avec une plus grande responsabilité démocratique, une plus grande légitimité et un renforcement institutionnel ».

Depuis le traité de Lisbonne, la consolidation de la représentation démocratique et le renforcement institutionnel de l’Union européenne sont passés par :

Le renforcement du rôle du Parlement européen et des parlements nationaux  dans les institutions européennes

– Le développement d’instruments participatifs pour les citoyens, comme l’initiative citoyenne européenne  permettant « à un million de citoyens de l’UE de participer directement à l’élaboration des politiques européennes, en invitant la Commission européenne à présenter une proposition ».

 

2. Le TARGET : un instrument d’ajustement monétaire et financier au sein de la zone euro

Le TARGET – acronyme deTrans-European Automated Real-Time Gross settlement Express Transfer system (système européen de transfert express automatisé à règlement brut en temps réel) – est un mécanisme peu connu en Europe et au sein de la zone euro, mais essentiel au bon fonctionnement des mécanismes de paiements des dettes et créances entre les différents pays de l’Union économique et monétaire européenne. Ce système de règlement est un des piliers de la zone euro.

Le TARGET est un système de paiement permettant de transférer des fonds entre des établissements de crédit situés dans différents pays de la zone euro. Comme souligné par le Parlement européen , ses objectifs initiaux sont de :

– « faciliter la mise en œuvre de la politique monétaire unique » au sein de la zone euro

– « mettre à disposition des mécanismes sûrs et efficaces permettant le règlement le jour même des paiements transfrontières en euro ».

En effet, le TARGET est un système de traitement des opérations bancaires et financières de la zone euro permettant une compensation efficiente, sécurisée et rapide des dettes et des créances au sein de la zone euro. Ce système contribue à répliquer l’ajustement automatique des monnaies nationales au sein de leurs territoires à l’échelle de la zone euro.

Ce système permet l’interconnexion en euro du réseau des banques centrales nationales et des établissements de crédit, et la supervision du système des banques centrales nationales (BCN) par la Banque centrale européenne (BCE).

Selon le Parlement européen , l’avantage offert par ce système est d’être « économique, fiable et efficace » et de contribuer à la sécurité et à la communication des opérations intrazone. Le système TARGET est composé :

– De systèmes RTGS (Règlement brut en temps réel) de chaque État membre de la zone euro permettant le transfert de fonds, transaction par transaction, en continu et en temps réel

– D’un système d’interconnexion des banques centrales nationales

– D’un réseau de télécommunication entre les banques centrales nationales passant par la banque centrale européenne.

 

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Figure 5 Fonctionnement du système TARGET (Source : Parlement européen )

 

Comme exposé par Patrick Artus (2012) , depuis 2007, le système TARGET a été développé pour faire face aux instabilités au sein de la zone euro. Les déséquilibres de paiements intrazone, conduits par des mouvements importants de capitaux, pouvaient avoir une incidence sur la stabilité de l’euro.

Le système TARGET 2, explique Patrick Artus (2012) , permet le traitement des paiements les plus critiques, comme des mouvements importants de capitaux. Les transferts de capitaux au sein de la zone euro sont automatiquement compensés par les soldes TARGET 2  de la banque centrale nationale. Ainsi, la stabilité de l’euro est garantie malgré des transferts de capitaux importants au sein de la zone euro.

 

3. La citoyenneté européenne

La notion de citoyenneté européenne connaît « une lente évolution » depuis sa mise en place. Elle est au cœur de l’Union économique depuis le traité de Maastricht de 1992 

La citoyenneté européenne complète, sans remplacer, la citoyenneté nationale des personnes résidant dans un État membre de l’Union européenne. Instituée par le Traité de Maastricht, elle est conférée à chaque citoyen européen par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne , « la citoyenneté européenne dans ses contours actuels semble peiner à permettre une appropriation politique de l’Europe par ses citoyens ». Ce constat est illustré par l’abandon des valeurs européennes par ses citoyens et un taux de participation faible aux élections européennes comme il a pu être constaté en juin 2009.

Comme souligné dans le dossier de 2012 de Vie Publique , la citoyenneté européenne est le résultat d’un long processus, initié au sommet de Paris de 1974, dans un objectif de bâtir « une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe ». Il faudra attendre le traité sur l’Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992, pour voir instituer cette citoyenneté.

Son attribution est attachée à la possession de la nationalité de l’un des États membres de l’Union européenne, et non pas à celle d’une nationalité européenne qui n’existe pas.

Comme souligné dans le dossier de 2012 de Vie Publique, la particularité de la citoyenneté européenne est double :

– Elle consolide les acquis communautaires, en rappelant des « droits déjà garantis depuis 1957 » comme le « droit de circulation et de séjourner librement sur le territoire des États membres » ;

– Elle apporte des droits nouveaux sur les volets politique et administratif, notamment en apportant « la protection garantie par les autorités diplomatiques et consulaires de chaque État membre à tout citoyen de l’Union », un « droit d’initiative citoyenne » et un « droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes ».

La citoyenneté européenne est au centre du processus d’européanisation, selon Romain Pasquier (2002) . Cet auteur souligne, en reprenant l’argument de Claudio Radaelli (2000), que la citoyenneté européenne constitue une institution cherchant à :

– La construction d’une identité européenne

– La diffusion des « paradigmes », des « discours » et des « valeurs » de l’Union européenne

– L’institutionnalisation de l’identité de l’Union européenne auprès des citoyens pour consolider cette institution.

Etienne Pataut (2014)  rend compte de l’importance de cette citoyenneté dans la construction d’une identité européenne. En effet, l’auteur souligne que la citoyenneté européenne contribue au développement d’une intégration et d’une solidarité au sein de l’espace de l’Union européenne entre des citoyens de différentes nationalités. Elle reste néanmoins ambiguë, compte tenu de son statut la différenciant d’une nationalité commune.

De plus, alors qu’elle constitue une force motrice pour la mise en avant d’une identité commune au sein de l’Europe, la citoyenneté européenne est l’une des grandes absentes des travaux récents sur le processus d’européanisation. L’accroissement du nombre d’eurosceptiques dans la majorité des pays membres de l’UE souligne l’importance de s’interroger sur la citoyenneté européenne.

 

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Figure 6 La vision de l’Union européenne par les européens (Source : PEW Global )

 

II. Le sujet dans la théorie économique

 

I. Les pistes de développement des institutions européennes

1. Vers une union financière ? Un système financier intégré pour une économie intégrée

Christian Noyer (2012)  estime que l’Union économique et monétaire européenne est incomplète. L’Union financière semble nécessaire pour finaliser la construction d’une Union économique et monétaire en Europe et le développement du Marché unique.

Ce constat est partagé par le rapport « Compléter l’Union économique et monétaire européenne » qui mentionne que « l’Union économique et l’Union financière se complètent et se renforcent mutuellement ».

Selon la Commission européenne (2015) , l’Union financière est essentielle pour :

– « Renforcer l’économie européenne et stimuler l’investissement » ;

– « Rendre le système financier [européen] plus stable » et « résistant » pour supporter l’impact de différents chocs ;

– « Approfondir l’intégration financière » en développant un « plus grand partage transfrontière des risques, des marchés plus profonds et plus liquides et des sources de financement diversifiées ».

Ce rapport souligne que l’Union financière prend deux formes :

– L’Union bancaire , pour répondre au développement des banques au niveau de la zone euro

– L’Union des marchés de capitaux, pour mobiliser le capital et approfondir l’intégration et la stabilité financière de la zone euro.

L’Union bancaire a fait l’objet d’un grand intérêt durant la crise des dettes souveraines des États membres de la zone euro. L’article de Christine Lejoux, dans le journal La Tribune, souligne que le développement de l’Union bancaire européenne est passé par le développement du mécanisme de résolution unique des crises bancaires.

Cependant, le rapport des cinq présidents  souligne que cette union bancaire européenne est incomplète et nécessite quelques évolutions. Ce rapport de Jean-Claude Juncker, Donald Tusk, Jeroen Dijsselbloem, Mario Draghi et Martin Schulz identifie quatre priorités pour finaliser l’Union bancaire au sein de la zone euro :

1. Le développement du mécanisme de surveillance unique et du fond de résolution unique ;

2. Un accord sur un mécanisme de financement-relais ;

3. La mise en place d’un dispositif de soutien commun pour le fond de résolution unique ;

4. La mise en place d’un système européen de garantie des dépôts.

Parallèlement à l’Union bancaire, le développement d’une Union des marchés de capitaux dans la zone euro a pour objectif de renforcer la stabilité et l’intégration financières dans la zone euro. Elle contribuera à renforcer le troisième pilier  du plan d’investissement pour l’Europe, en développant un environnement européen plus propice à l’investissement.

Comme expliqué par la Commission européenne (2016) , l’Union des marchés de capitaux permettrait une mobilisation plus efficiente de ces derniers au niveau de la zone euro vers les pays ayant des difficultés à se financer sur les marchés.

 

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Figure 7 Capitalisation des marchés des capitaux dans les pays membres de l’UE en % du PIB national

 

Anton Brender, Florence Pisani et Emile Gagna (2015)  rendent compte de l’importance de l’Union des marchés de capitaux pour le « bon fonctionnement » de la zone euro et de la transmission de la politique monétaire unique de la BCE.

La transmission de la politique monétaire de la BCE passe par des canaux de financement extrêmement différents d’un pays à l’autre dans la zone euro. Les auteurs soulignent que l’Union des marchés de capitaux doit se construire par le développement d’un marché obligataire européen pour contribuer à l’homogénéisation des conditions de financement dans la zone euro.

 

2. Vers une union budgétaire ? Un cadre pour des politiques budgétaires « saines » et « intégrées »

Le processus d’intégration régionale de l’Europe s’est ralenti depuis la mise en place d’une union monétaire. Selon Anne-Laure Delatte , cette union monétaire a montré de nombreuses limites après la crise de 2008. Les principales limites de la zone euro ont été :

– Les multiples hétérogénéités de la zone euro – notamment au niveau de productivité, de revenus et de qualification de la population active –, selon Patrick Artus

– L’absence d’un système budgétaire et fiscal entre les pays membres de la zone pour soutenir les mécanismes de solidarité entre les pays membres .

Agnès Chevalier (2012)  estime que la crise de la zone euro a démontré la fragilité d’une union monétaire dans laquelle les institutions ne sont pas adaptées. L’Union économique et monétaire a créé une forte interdépendance entre les marchés de biens et de capitaux qu’aucune institution nationale n’est à même de gérer.

Anne-Laure Delatte présente l’union budgétaire et fiscale comme une solution aux problématiques de l’Europe et de son intégration régionale. Sa mise en place – bien que complexe – semble nécessaire pour faire face aux instabilités macroéconomiques d’une union monétaire, d’après Jean-Claude Juncker, Donald Tusk, Jeroen Dijsselbloem, Mario Draghi et Martin Schulz  .

« Il existe de nombreux moyens pour faire progresser une Union monétaire sur la voie de l’Union budgétaire », d’après le rapport « Compléter l’Union économique et monétaire européenne » ,  Patrick Artus  estime que la littérature économique se concentre principalement sur le débat du fédéralisme budgétaire et fiscal.

En prenant pour référence le fédéralisme budgétaire, Jonathan Rodden et Susan Rose-Ackerman (1997)  soulignent cinq conditions nécessaires pour l’élaboration d’une union budgétaire et fiscale :

– Une hiérarchie établie entre un niveau supranational et national

– Une certaine autonomie pour les niveaux inférieurs (États, régions, Landers…)

– Un marché commun

– Des contraintes budgétaires

– L’institutionnalisation de l’autorité au sein de l’Union

Jonathan Rodden et Susan Rose-Ackerman (1997) soulignent que les contraintes budgétaires sont particulièrement importantes pour une répartition efficace entre les différents niveaux d’une union budgétaire et fiscale.

Wallace Oates (2006)  complète cette affirmation en soulignant que, sans des contraintes budgétaires dures, le risque d’aléa moral est élevé au sein de l’Union, et les gouvernements locaux tendent à agir dans l’attente que le gouvernement central les renfloue en cas de problème.  Il constate également qu’un État central fort est nécessaire dans une union de type fédéral pour faire face à des dérives politiques opportunistes de la part de gouvernements locaux.

Il existe plusieurs conditions pour que ces contraintes soient mises en place. Jonathan Rodden (2000) en identifie trois, essentielles au sein des institutions fiscales :

– Une division claire des responsabilités entre les gouvernements centraux et décentralisés

– Les gouvernements décentralisés doivent avoir la capacité financière pour accomplir leurs fonctions (c’est-à-dire la capacité de lever eux-mêmes une partie des impôts nécessaires)

– Un système de transferts prévisibles et basés sur des règles institutionnalisées.

Le rapport de la Commission européenne  affirme qu’il « conviendrait de renforcer le cadre de gouvernance actuel » pour « améliorer le respect des règles budgétaires communes, mieux informer le débat public et renforcer la coordination des politiques budgétaires nationales ».

L’Union budgétaire et fiscale doit mettre en place des mécanismes de stabilisation budgétaire pour la zone euro afin de développer un cadre pour des politiques budgétaires au sein de la zone euro. Ces mécanismes de stabilisation budgétaire doivent respecter quatre principes, selon le rapport de la Commission européenne  :

– Ils doivent être conçus en vue d’égaliser et faire converger les revenus entre les États membres

– Ils doivent encourager les pays participants à l’élaboration de politiques budgétaires nationales saines et remédier à leurs faiblesses structurelles.

– Ils doivent être élaborés dans l’objectif d’être étendu à l’Union européenne pour être parfaitement comptables et intégrés à une construction européenne large.

– Ils doivent être développés dans l’objectif de renforcer la résilience économique globale de l’Union économique et monétaire.

 

3. Les stratégies macro-régionales : le nouveau cadre de l’Europe des Nations

Comme souligné dans le dossier de 2013 de Vie Publique , la politique régionale de l’Union européenne est son deuxième poste de dépense. Elle vise à renforcer la participation et les compétences des « régions » au sein de l’Union européenne, sans pour autant s’affranchir du cadre étatique.

L’UE se compose de 274 régions dans 28 États membres, au profil et au niveau de développement bien distincts. La politique régionale de l’Europe s’est développée dans les années 70, suite aux premiers élargissements des institutions européennes, pour faire face aux déséquilibres régionaux au sein des États membres.

Depuis les années 70, l’essor de la politique régionale européenne s’est affirmé pour lutter contre l’accroissement des écarts en termes de revenus et d’emploi entre les différentes régions. Cette politique a pour but de renforcer la convergence économique et sociale de l’ensemble de l’Union européenne.

Le dossier de France diplomatie  rend compte notamment de l’évolution des stratégies européennes d’un cadre national à un cadre macrorégional. Cette évolution a visé à l’harmonisation des territoires aux « tendances économiques, sociales et démographiques contrastées », au niveau européen, en préservant la diversité propre aux États membres.

Cette stratégie cible le :

– Renforcement de « la cohésion économique, sociale et territoriale » de l’Europe, principalement dans les zones frontalières entre les pays membres de l’Union européenne et à la frontière de l’UE ;

– Développement des mécanismes de « solidarité », de « coopération » et de « compétitivité » comme souligné dans le dossier de Toute l’Europe .

Dans son discours du 21 mars 1997, Jacques Santer , a mis en évidence l’importance de la place des régions dans la construction européenne. Selon cet ancien président de la Commission européenne, l’importance des régions est triple :

– Les régions ont un rôle institutionnel dans la construction européenne. Cela s’explique par une décentralisation progressive des compétences dans les États membres. Ainsi, elles « participent activement à la construction européenne, tant au niveau de l’élaboration des programmes communautaires qu’au niveau du rôle consultatif »

– Les régions sont des acteurs de premier plan dans la « mise en œuvre des politiques communautaires, notamment structurelles »

– Les régions œuvrent en faveur de la cohésion économique et sociale de l’intégration européenne, en mettant en avant les valeurs de l’UE. Elles contribuent activement à « la coopération transfrontalière » et à « l’union sans cesse plus étroite entre les peuples » européens.

La stratégie macrorégionale permet, par ailleurs, de soutenir « la régionalisation à l’œuvre au niveau des États membres », selon Jacques Santer (1997) , et constitue un cadre à privilégier dans « l’approfondissement de la construction européenne ».

Ainsi, les régions doivent être surveillées de près par les institutions qui pourraient y trouver le nouveau cadre à privilégier pour relancer la construction de l’édifice européen.

 

 II. Benchmark international 

1. La place des administrations nationales dans la construction européenne 

La construction européenne s’est faite sur l’idée d’une Europe des Nations – une Europe dans laquelle les États membres auraient une place centrale dans les décisions européennes. Ainsi, la coopération des États membres – et de leurs administrations respectives – joue un rôle déterminant dans la réalisation de cette construction.

Laure Quennouëlle-Corre (2005) , dans un ouvrage codirigé par Laurence Badel, Stanislas Jeannesson et Piers Ludlow, souligne le développement pluriel de la coopération européenne entre les administrations nationales des États membres. Cette coopération s’est articulée autour d’aspects économiques et financiers, mais également diplomatiques et politiques.

L’auteur estime que cette coopération est le fruit d’une double évolution :

– D’une part, le développement des idéaux de coopération internationale et multilatérale à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Elle va conforter la direction de la construction européenne par le développement d’institutions supranationales au niveau européen pour superviser la coopération

– D’une autre part, le renforcement d’une logique bilatérale à travers la conception d’espaces transnationaux de coopération pour permettre la coopération régulière et institutionnalisée des positions nationales au sein de l’Europe.

Laurence Badel et Stanislas Jeannesson (2005), dans le même ouvrage , remarquent que la coopération des administrations nationales a permis d’améliorer sensiblement les institutions européennes. Ces progrès s’illustrent notamment par :

– La mise en place de nouvelles méthodes de travail en commun entre des administrations aux cultures et langues différentes ;

– L’institutionnalisation d’une pratique interministérielle à l’échelle de l’Europe

– Le développement de stratégie commune dans certains domaines – comme la recherche, l’énergie ou l’éducation.

En étudiant le cas franco-allemand, Alain Terrenoire (2013)  rapporte que l’intensification de la coopération entre les différentes institutions au cours de la construction européenne a contribué à :

– Redynamiser le dialogue entre les différents États membres

– Construire une relation de confiance entre de multiples acteurs de différentes nationalités

Alain Terrenoire (2013) explique comment l’affermissement de la construction européenne et de ses différentes institutions s’est principalement structuré autour de la relation entre les administrations franco-allemandes, puis étendu pour intégrer les administrations des autres États membres.

Ainsi, l’accord entre la France et l’Allemagne est un facteur indispensable – bien que non suffisant – à la formation d’un consensus au niveau européen. La divergence entre ces deux pays conduisant généralement à un blocage au niveau européen.

Comme souligné dans un dossier de la Commission européenne, une coopération plus étroite entre les administrations nationales des États membres est nécessaire face aux déséquilibres structurels au sein de l’Europe.

En permettant le développement d’un marché intérieur transnational, dans lequel les entreprises et citoyens européens ont la possibilité de circuler, d’agir et d’investir librement, la construction européenne a également donné la possibilité de fraude et d’évasion fiscales à ces acteurs.

Du point de vue de la Commission européenne, une coopération plus étroite entre les différentes administrations permettrait « l’établissement de règles, d’obligations et des mêmes droits pour tous » les acteurs européens. Ce constat est partagé par Alain Terrenoire (2013) qui ajoute à cette observation que :

– L’élargissement de l’Europe pose la nécessité d’un maillage institutionnel plus dense entre les différentes administrations pour répondre aux objectifs de croissance et d’emploi au niveau européen

– La coopération entre les différentes administrations doit également s’étendre aux administrations des pays européens dits « périphériques».

 

2. L’Europe vue de l’extérieur : entre union et division

Comme mentionnée par le dossier de Vie public , la question de la vision extérieure de l’Europe est renvoyée dans les différents débats à son poids économique, politique et social dans le monde.

Selon Philippe Gélie et Jean-Jacques Mével  les autres pays « ont du mal à comprendre le fonctionnement de l’UE ». Cette dernière est souvent décrite comme un « géant économique » – au vu de son union économique –, mais un « nain politique » – compte tenu de sa division politique.

La construction européenne est également décrite par les Américains comme un « objet politique non identifié » : une union économique, entre États restés souverains, déléguant certaines compétences à une entité supranationale.

Les décisions de cette entité sont plus perçues comme le fruit de l’entente franco-germanique qu’un consensus de l’ensemble des pays membres. Joseph Stiglitz  estime que cette Europe à plusieurs vitesses et plusieurs visages est source de problème pour la stabilité de l’ensemble de l’édification européenne. Selon l’auteur, l’Europe est confrontée à différents problèmes :

– Un paradoxe entre la volonté d’intégration de tous les pays membres au processus de décision et la multiplicité des institutions européennes – ayant chacune un certain nombre d’États membres. Ce paradoxe complique l’intégration de tous les pays dans un processus de décision complexe et renvoyant à un grand nombre d’institutions diverses

– Le poids plus important des pays fondateurs comme l’Allemagne et la France dans les décisions européennes et la représentativité de l’Europe à l’international. Cela construit l’image d’une Europe à différents visages entre les pays au cœur des décisions et les pays périphériques

– La dichotomie entre les politiques structurelles – qui restent à un niveau national – et la politique monétaire européenne – dirigée par la BCE pour l’ensemble de la zone euro. Selon Joseph Stiglitz, un choix doit être fait par les pays membres de l’eurozone : revenir à des monnaies nationales et continuer les politiques structurelles à un niveau national, ou garder l’euro mais, dès lors, mettre en place des politiques structurelles pour l’ensemble de la zone et des mécanismes d’ajustement entre les pays de la zone.

François Danglin (2011)  voit  « un consensus hors d’Europe » considérant une surreprésentation de l’Union européenne dans les différentes organisations internationales.

Cependant, ce consensus est trompeur, dans la mesure où la majorité des pays membres joue un jeu national plutôt qu’européen dans les organisations internationales.

Comme souligné par l’ancien ambassadeur des Etats-Unis, Rockwel A. Schnabel , le reste du monde regarde attentivement l’Europe et sa construction, parce que malgré l’incompréhension des autres pays sur le fonctionnement de cet édifice, elle constitue « un projet de paix » et « un espace de liberté » mêlant « union » et « division ».

 

3.Vers une Europe des Nations ? Une Europe des Régions ? Ou un Etats-Unis européen ?

Daniel Cohn-Bendit, dans une conférence  donnée en 2000, soulignait que « la construction européenne a débuté suite à une prise de conscience et une reconnaissance des limites de l’Etat nation ». L’Europe s’est construite à la suite de la Seconde Guerre mondiale pour pallier « la réalité d’un continent fracturé et affaibli ». Elle s’est structurée comme une union d’États suivant le modèle westphalien de l’État-nation.

Comme défini par l’UNESCO , l’État-nation confond les frontières culturelles aux frontières politiques. La nation est une communauté politique qui « assure la légitimité d’un état sur son territoire », elle est souveraine sur son territoire.

Cependant, selon Claire Demesday, de nombreuses critiques sont décriées sur le modèle actuel de la construction européenne. Les principales critiques sont :

– Le déficit démocratique dans les institutions européennes

– L’érosion de la souveraineté nationale dans un modèle qui se veut être celui de l’Europe des Nations

Pour Claire Demesday, l’Europe doit réadapter son modèle à un cadre supranational ou affirmer son modèle actuel en développant de nouveaux mécanismes de coopération et de démocratie au niveau européen.

Jacques Delors  remarque que l’Union européenne doit tendre vers une Fédération d’Etats-nations. Il souligne que « la structure fédérale est la seule qui pourrait augmenter notre poids vers l’extérieur, sans affaiblir pour autant l’État national et la démocratie à l’intérieur des États ».

Le huitième président de la Commission européenne rend également compte que l’UE présente déjà des caractéristiques d’une Fédération d’Etats-nations. Cependant, elle reste à la croisée des chemins entre :

– Une structure confédérale – notamment avec le fractionnement de la fonction gouvernementale entre Conseil européen, Conseil et Commission, voire le droit pour un État de se retirer de l’UE

– Une structure fédérale  – notamment à travers la primauté du droit communautaire, le vote à la majorité qualifiée au Conseil des ministres ou la citoyenneté européenne.

Jacques Delors note que le fédéralisme de l’Union européenne permettrait de concilier la diversité des modèles d’Etats-nations en Europe et la pluralité des institutions européennes dans l’unité. Pour ce faire, les États membres doivent :

– Partager leurs compétences souveraines aux institutions européennes

– Renforcer la gouvernance de ces institutions communautaires

– Affirmer la légitimité du projet européen par la mise en place d’une démocratie européenne.

La remise en cause de la construction européenne et de son institution motrice – l’Union européenne – semble être une évidence après le référendum pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.  Les incertitudes sur l’avenir de l’intégration européenne et de son modèle de construction sont fortes.

De ses difficultés à créer une prospérité partagée et un horizon économique et social communs, l’Europe doit se réinventer pour aboutir à un résultat cohérent avec ses objectifs initiaux, selon Karima Delli. Chaque État membre de cette construction hétérogène et plurielle doit clarifier ses ambitions dans les différentes institutions pour faire avancer et renouveler le projet européen.  Et cela, quelle que soit l’évolution de son modèle à venir, pour éviter le naufrage d’une « Europe-Titanic ».

 

III. La vision de 5 économistes

 

JP_Betbeze Photo site internetJean-Paul BETBEZE (Cercle des économistes – Betbeze Conseil)

Crise globale. Réagissant à une récente note dans laquelle le Fonds Monétaire International met l’Europe en garde face aux risques politiques qui pèsent sur elle, Jean-Paul Betbeze regrette que le FMI ne dise pas que « les difficultés de l’Union européenne sont également liées à la crise financière mondiale et aux effets de la révolution technologique. L’Union et la zone euro vivent également les conséquences de la crise majeure du Moyen Orient, avec les migrations massives qu’elle reçoit ».

L’Europe et la zone euro ne dansent pas sur un volcan. Le Vieux Continent « vit une série de difficultés majeures qui mettent gravement en risque sa stratégie de croissance à moyen terme, lancée il y a 60 ans avec le traité de Rome », constate l’économiste. « Malheureusement, poursuit-il, quand la croissance est faible, le chômage élevé et les taux d’intérêt très bas, la capacité d’une économie à pouvoir absorber un choc est très limitée. C’est bien ce qui se passe avec les chocs déjà reçus liés aux crises des migrants, plus ce qui est en train de se passer avec le Brexit. Ce n’est donc pas un événement construit et concerté qui en jeu, mais plutôt un choc, ou plusieurs chocs qui s’ajoutent ».

Du rôle primordial de la Banque centrale européenne. Jean-Paul Betbeze insiste sur le rôle pivot de la BCE qui, « de l’intérieur, tient l’ensemble, sachant que les déficits budgétaires sont en train de monter, sans oublier la remise en cause des stratégies de stabilisation. La Commission européenne a décidé en effet de ne pas vraiment sanctionner l’Espagne et le Portugal. Il est à parier qu’elle ne fera pas preuve de dureté par rapport aux autres, dont la France ». Selon l’économiste, « dans la crise mondiale, l’Allemagne et la France font figure de valeur refuge et leur financement budgétaire ne pose aucun problème. Dans ces conditions, le scénario d’un éclatement de la zone euro paraît heureusement improbable sachant qu’il serait de nature à accentuer très gravement les déséquilibres mondiaux ».

 

agnes Benassy_cropAgnès BENASSY-QUERE (Cercle des économistes – Conseil d’Analyse Economique)

Sans volet budgétaire, la zone euro n’est pas viable. « Le choix de faire l’euro sans union budgétaire a été remis en cause par la crise », estime Agnès Bénassy-Quéré dans la note du Conseil d’analyse économique du mois de février 2016. Dans un travail commun mené avec Xavier Ragot (OFCE) et Guntram Wolff (Institut Bruegel), la présidente déléguée du CAE estime que « des trois fonctions traditionnelles de la politique budgétaire – financement de biens publics, redistribution et stabilisation macroéconomique – seule la dernière se justifie véritablement au niveau de la zone euro plutôt que de l’union européenne ». D’où l’importance de ce volet budgétaire dans la bonne marche de la zone euro.

Idée ancienne. « L’idée de compléter l’union monétaire européenne avec une forme de fédéralisme budgétaire n’est pas nouvelle », souligne Agnès Bénassy-Quéré. Et de rappeller qu’ « En 1977, le rapport MacDougall suggérait déjà un budget de l’ordre de 5 à 7% de PIB dans un premier temps, l’objectif de long terme étant une Fédération en Europe dans laquelle les dépenses représenteraient 20 à 25% du PIB comme aux Etats-Unis ou en République fédérale d’Allemagne ». « Quinze ans plus tard, le traité de Maastricht n’apportait aucune forme d’union budgétaire, sinon dans le sens étroit de la discipline budgétaire dont le Pacte de stabilité et de croissance constituait la traduction opérationnelle ».

Solutions. Pour accroître le pouvoir stabilisant des politiques nationales tout en maintenant leur soutenabilité de long terme, les auteurs de la note du CAE  identifient trois pistes. Selon Agnès Benassy-Quéré, il faudrait tout d’abord « éviter d’imposer des ajustements budgétaires contre-productifs dans des pays en crise ». Ensuite, « en période exceptionnelle (bonne ou mauvaise), la politique budgétaire devrait être guidée par le futur Conseil budgétaire européen, tandis que le Pacte de stabilité et de croissance s’appliquerait pleinement durant les périodes « normales ». Enfin, il faudrait mettre en place « une assurance fédérale en cas de chocs de grande ampleur ». Et l’auteur de citer l’exemple d’un système européen de (ré)assurance chômage : « Tous les pays satisfaisant à une harmonisation minimum de leurs marchés du travail participeraient à cette assurance, moyennant des cotisations modulées en fonction de critères objectifs ».

 

Boissieu (de) Christian_cropChristian de BOISSIEU ( Cercle des économistes – Paris 1 Panthéon Sorbonne)

Le critère d’appartenance à l’euro doit être déterminant. « Après le Brexit, la zone euro est confrontée à des choix décisifs concernant sa gouvernance et son avenir. Nous entrons dans une période de multiples incertitudes. Il va falloir des années pour négocier le futur statut du Royaume-Uni vis-à-vis de l’UE », analyse Christian de Boissieu. « Les 27 qui restent dans l’UE et les 19 qui sont dans l’euro ne doivent en aucune façon se laisser piéger par la longueur du processus de divorce et de détricotage », ajoute l’économiste pour qui « le Brexit oblige à aborder de front la question de l’Europe à plusieurs vitesses, qui existait bien avant lui ».

Plusieurs axes de développement. « Avancer à 8 ou 9, voire mettre en avant le seul noyau dur constitué des pays signataires du Traité de Rome? Ce peut être tentant dans le contexte actuel, mais résistons à cette tentation. Ce serait en pratique faire le jeu de ceux qui veulent vraiment détricoter la construction européenne », estime Christian de Boissieu. L’économiste en est convaincu : « La crise a poussé à renforcer la gouvernance budgétaire de la zone euro. Le bilan de la réforme du pacte de stabilité et de croissance (PSC) est mitigé. Les turbulences depuis 2010 devraient conduire, du côté de l’endettement, à considérer la dette totale (publique et privée). Nous n’en avons pas encore tiré les leçons, probablement parce qu’il faudra modifier sur ce point et le traité de Maastricht et le PSC à froid, donc plus tard ».

Union à tous les étages. « L’union bancaire et l’union des marchés de capitaux vont dans le sens de l’approfondissement de l’Europe. La direction prise est la bonne, et en même temps elle soulève de nombreuses interrogations ». Selon Christian de Boissieu, « En matière de politique économique, il faut une nouvelle gouvernance de la zone euro organisée autour de grands axes: un budget propre à la zone euro; un Parlement propre à la zone, sous-ensemble du Parlement européen; un ministre des finances de la zone, qui serait en même temps le président de l’Eurogroupe; une représentation unique de la zone euro au G20, au FMI, à la Banque mondiale…; l’adoption de la règle de la majorité-simple ou qualifiée selon les sujets traités — dans les processus décisionnels de la zone euro ». L’économiste ne passe pas par quatre chemins : « Pour éviter des crises à répétition, il faut combler le double déficit qui mine la construction européenne: le déficit démocratique et le déficit pédagogique ».

 

Pisani-Ferry Jean cropJean PISANI-FERRY ( Cercle des économistes – France stratégie)

L’Europe a besoin de redéfinir des objectifs communs. « Nous nous sommes engagés dans l’aventure avec une constitution monétaire très complète et des garde-fous budgétaires, mais pas grand-chose à côté. Les promoteurs de l’euro pensaient que l’intendance suivrait. Il aurait fallu construire l’union bancaire, le mécanisme de gestion des crises ou la capacité budgétaire lors de la première décennie de l’euro, quand tout allait bien ». Selon Jean Pisani-Ferry, « le transfert de la compétence monétaire à la BCE a eu un effet déresponsabilisant. Il a fallu attendre les orages pour réagir. Les dirigeants savaient pourtant que l’Espagne, par exemple, allait mal, et ils n’ont à peu près rien fait », poursuit l’économiste. « Depuis, l’UE s’est dotée de procédures de surveillance des risques de déséquilibres économiques et financiers, pas seulement budgétaires. Cependant leur effectivité est limitée ».

Outils utiles. Dans un récent entretien au quotidien L’Opinion , le directeur de France stratégie estime que « la transformation du Mécanisme européen de stabilité en Fonds monétaire européen aux compétences étendues, et capable de décider à la majorité qualifiée, se posera certainement. Plus largement, la zone euro doit trouver la bonne combinaison de politiques d’offre et politique de demande, et le bon équilibre entre responsabilité individuelle des États et solidarité collective ». « Nous devons aller au bout des discussions avec nos partenaires. Je crois un compromis possible: responsabilité et solidarité ne s’opposent pas et peuvent s’ajouter. Mais un accord suppose que chacun soit clair sur ses choix », poursuit Jean Pisani-Ferry.

Nous vivons aujourd’hui dans une des zones les plus dangereuses du monde. Selon l’économiste, « Les Européens vont devoir davantage prendre en main leur propre sécurité. Par des moyens militaires, diplomatiques mais aussi financiers, pour aider au développement. Jusqu’ici, la seule vraie politique de voisinage de l’Europe a été l’élargissement. Cette phase est terminée. Il faut repenser notre relation avec notre environnement immédiat ». Et Jean Pisani-Ferry de conclure que l’Europe a un avenir « si elle prend conscience de ses forces. Malgré tous ses problèmes, l’Europe reste beaucoup plus attractive que beaucoup d’autres régions du globe ».

 

Saint-Etienne Christian cropChristian SAINT-ETIENNE (Cercle des économistes – CNAM)

Divorce entre les peuples et leurs élites en Europe. Selon Christian Saint-Etienne, « Ce divorce ne résulte pas uniquement de l’éloignement des centres de décision vers un Bruxelles bureaucratique, mais aussi, et vraisemblablement surtout, de la négation méprisante affichée par les élites européennes, envers l’histoire-légende des peuples ». Pour l’économiste, « à cette négation de l’histoire-légende des peuples, et donc de leurs attentes profondes, s’ajoute, pour les pays membres de la zone euro, l’échec stratégique de la monnaie unique, même si elle est un apparent succès technique ». « Imaginée pour favoriser la convergence des performances économiques entre les pays membres, elle est devenue un facteur de divergence entre les pays du nord et du sud de la zone euro ».

Répondre aux besoins. Christian Saint-Etienne décrit trois objectifs prioritaires. Premièrement, « fixer des frontières de l’Union européenne à 27 ou autour d’un noyau dur de pays acceptant de constituer un système commun de gardes-frontières puissamment armés. Ce noyau dur doit au minimum comporter huit pays : la France, l’Allemagne, les trois du Benelux, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, plus tous les autres pays acceptant d’avoir une politique commune de l’immigration – qui accepter ou refuser, selon quels critères communs ». Le deuxième axe serait d’adopter « une politique économique et stratégique commune comprenant réciprocité dans le commerce international, politique favorisant l’industrie numérique, biotech et robotique, avec un effort accru de recherche et d’innovation, système commun d’universités d’excellence ». Enfin, selon Christian Saint-Etienne, il est urgent d’ « amorcer un projet de défense européen face aux menaces croissantes contre l’intégrité des peuples européens ».

Plan d’action. « Il faut vraiment partir de ce qui est nécessaire pour réussir le rebond de la construction européenne et ne démarrer qu’avec les peuples qui sont prêts aux partages de souveraineté en laissant les autres hors du processus », insiste Christian Saint-Etienne. « Mais surtout, poursuit-il, les partages de souveraineté doivent s’opérer dans un cadre strictement intergouvernemental respectueux de l’histoire-légende de chaque peuple. La méthode communautaire, bureaucratique, apatride et méprisante pour les peuples, est morte ».

 

CONCLUSION

Confrontée à un grand nombre de défis, l’Europe n’est pas morte et bouge encore. Mais bien du travail reste à faire. Lutter contre un chômage trop élevé et l’encéphalogramme plat de la croissance ; contrer le terrorisme ravageur et trouver une réponse à la question des migrants…

Le discours sur l’état de l’Union prononcé mercredi 14 septembre dernier par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, prouve que l’Europe a engagé une opération de reconquête post-Brexit : doublement du plan d’investissement européen, appel à plus de solidarité budgétaire, relance des réseaux numériques, approfondissement de l’union bancaire…

Ne laisser personne au bout du chemin. Tel est le mot d’ordre renouvelé de l’exécutif européen. Reste à écrire le nouveau chapitre. Passera-t-il par plus de fédéralisme ? Par un noyau dur pour éviter – ou gérer – une Europe à plusieurs vitesses qui donnera ses chances à chacun ? Cela s’appelle la Gouvernance. Le Vieux Continent en a un besoin urgent.

 

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