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Enrico Letta : « Il faut mettre les jeunes au centre du jeu »

La jeunesse a payé un lourd tribut à la crise sanitaire et beaucoup ont été laissés au bord du chemin. Aspiration à une vie meilleure, à un monde moins anxiogène, du point de vue de l’environnement comme de la paix… Comment mieux les prendre en compte ? Avec quels outils et à travers quelle politique ? Enrico Letta, président de l’Institut Jacques Delors et secrétaire national du Parti Démocrate italien était au micro d’Où va l’éco ?, alors que se tenaient les élections générales en Italie, elle aussi en pleine réflexion sur l’avenir de sa jeunesse.

La jeunesse, on le sait, a payé un lourd tribut à la crise sanitaire et est particulièrement touchée par la pauvreté. Néanmoins, elle est la force d’un pays. Comment, aujourd’hui, mieux prendre en compte cette jeunesse dans les politiques publiques ?

Il faut démarrer par une considération très importante. Le Covid-19 a été une crise majeure, qui a complètement bousculé nos sociétés, mais ce sont les jeunes qui ont payé un prix énorme, car ce sont eux qui risquaient le moins. Ils ont sauvé les vies de leurs parents, grands-parents, arrière-grands-parents, d’une façon qui les a obligés à perdre des années clés de leur vie. Pendant la crise sanitaire, oui, j’ai perdu une année, mes 54 ans. Mais entre 54 et 55 ans, il y a peu de différence. Quand on perd ses 16 ou ses 18 ans, ces années ne se rattrapent pas. Cela a été une urgence pour eux et quelque chose qu’ils ont donné à la société. Aujourd’hui, il y a une dette envers les jeunes et il faut absolument trouver une manière de les aider. 

Je pense que la chose la plus importante de toutes est de considérer que cet investissement sur la jeunesse doit faire en sorte qu’on les mette de plus en plus au centre du jeu. Cela concerne des sujets majeurs. Par exemple, les jeunes sont moins que le reste de la société, car la vie de plus en plus longue fait que notre société a plus de retraités que de jeunes. Pour moi, il faut donc faire en sorte que le vote soit donné aux jeunes dès 16 ans, pour qu’il y ait plus de jeunes qui votent. Autre proposition très simple, pourquoi ne pas mettre en place des quotas pour les jeunes de moins de 40 ans dans les conseils d’administration des entreprises ? C’est une façon de donner aux jeunes des opportunités, de les prendre au sérieux, et je pense que c’est une façon aussi de reprendre le fil par rapport à tout ce qui s’est passé.  

Il y a aujourd’hui de plus en plus de NEETs : des jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation. Comment règle-t-on ce problème au 21e siècle ?

Bien évidemment, c’est le plus grand des problèmes et je parle en connaissance de cause, car l’Italie est un des pays qui compte le plus de NEETs en Europe. Parmi les pays fondateurs, c’est le pays avec le pire résultat.  

Il faut évidemment faire en sorte que celles et ceux qui continuent leur formation ne soient pas seulement issus des familles aisées. Donc dès la maternelle, il faut une capacité de suivi, de traçabilité pour que, jusqu’à l’éducation supérieure on soit capable d’aller chercher les jeunes là où il est considéré anormal de poursuivre ses études. Nous sommes en train d’étudier des façons dans lesquelles on puisse repérer cette traçabilité.  

À l’Institut Jacques Delors, nous avons proposé l’Erasmus pour les lycéens. L’éducation à l’étranger est quelque chose qui divise les familles, entre les familles les plus aisées, qui ont une mentalité internationale et donnent à leurs jeunes la possibilité de le faire, et les autres qui ne le permettent pas. Il faut donc que l’école oblige tous les jeunes à avoir des expériences à l’étranger, en faisant payer cela par l’argent européen. 

Mais ces jeunes doivent quand même avoir une formation de base ? Le système de formation et d’enseignement est-il vicié ? On ne peut pas envoyer quelqu’un en stage s’il n’a pas les bases…

Je pense que ce sont les très jeunes qui doivent partir. Nous avons lancé cette proposition d’Erasmus pour les jeunes de 14 à 16 ans. Il est évident que ce n’est pas facile de le faire, mais les familles les plis aisées le font : de nombreux jeunes issus des familles les plus aisées font une partie de leur scolarité, six mois, un an… à l’étranger et cela change complètement leur vie, cela leur donne envie d’apprendre et de connaître. 

Il faut donc faire cela avec les jeunes de tous les milieux, obligatoirement. C’est une façon de faire que notre parcours de scolarité donne plus d’opportunités et qu’il ne divise pas, parmi les étudiants, ceux qui viennent des familles les plus aisées et ceux qui viennent des moins aisées. 

Vous avez un regard transversal sur la dimension européenne du sujet. Évidemment, pour qu’un pays soit compétitif, il faut que sa population soit formée dès le plus jeune âge. Si on fait un comparatif en Europe, y a-t-il des exemples dont la France pourrait s’inspirer ?

Il y a sûrement des exemples intéressants dans les pays scandinaves, qui créent les conditions pour que les jeunes sortent de leurs maisons familiales très tôt. Je prends cet exemple en pensant à mon pays, l’Italie, qui est à l’extrême opposé. Les jeunes sortent de la maison en moyenne à 31 ans, ce qui est fou. Je pense qu’il faut donner une prime aux jeunes de 18 ans pour qu’ils s’autonomisent. C’est une façon de dire : “On croit en vos capacités, vous pouvez investir ce qu’on vous donne et vous pouvez chercher à vous autonomiser”. La possibilité de s’autonomiser, de mon point de vue, est une question clé pour l’avenir des jeunes. 

Donc vous êtes résolument optimiste ?

Je pense qu’il faut l’être et il faut le faire pour une raison très simple, ce n’est pas seulement quelque chose qu’on donne aux jeunes. Les deux grandes transitions, écologique et digitale, divisent la société en deux. Les jeunes y sont beaucoup plus sensibles. Donc si on leur donne plus de poids dans nos sociétés, on va mieux gérer ces transitions qui seront décisives pour notre avenir. 

Nous espérons que cet épisode vous a plu et vous a donné des clés pour mieux comprendre l’économie. Si c’est le cas, n’hésitez pas à laisser un avis sur la page de notre podcast et le partager autour de vous. 

 

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