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Epargne : un Livret vert a-t-il du sens ?

Comment flécher l’abondante épargne des Français vers un usage utile et rentable ? Le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, répond par le projet d’un nouveau livret dédié à la décarbonation. Patrice Geoffron explique pourquoi cette cible représente la meilleure épargne de précaution.

Le débat sur l’évolution des systèmes de retraite tend à monopoliser le « temps de cerveau disponible ». Le 10 janvier, jour où Élisabeth Borne présentait les contours de la réforme, l’Assemblée nationale votait le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables (en première lecture). Se posera donc rapidement la question du financement des investissements concernant les énergies renouvelables, mais plus largement de ceux nécessaires à la transition environnementale (transport décarboné, isolation des logements, etc.). Et cet impératif s’impose d’autant plus que, la guerre nous ayant rappelé nos dépendances, la décarbonation accélérée s’impose pour réduire nos importations de pétrole et de gaz.

Pallier les insuffisance des livrets réglementés classiques

C’est dans ce contexte que le Ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a récemment appelé à la création d’un « véritable outil d’épargne verte« . Son constat est que les supports destinés au grand public (comme le Livret de Développement Durable et Solidaire) ne sont pas opérants pour mobiliser une partie des 2 500 milliards d’euros de l’épargne des Français vers la décarbonation. Les détails d’un futur « Livret vert » feront l’objet d’un projet de loi d’ici l’été, mais on sait déjà qu’il « sera un peu moins liquide qu’un support classique avec sans doute une part de risque un peu plus élevée ». Bruno Le Maire reprend ainsi une recommandation de la Convention Citoyenne pour le Climat qui préconisait d’orienter « l’utilisation de l’épargne réglementée gérée par la Caisses des dépôts et consignations et les banques pour financer les investissements verts tels qu’ils sont définis par l’Union européenne« .

Quel accueil pourrait recevoir un tel livret dans le grand public ? Observons tout d’abord que si, au fil du temps, le Livret A (et ses ancêtres depuis 1818) a diversement couvert l’épargne des Français face à l’inflation, ce n’est plus le cas depuis 2017. Quand l’inflation était modique ces dernières années (entre 1 et 2%), cette déconnexion du taux du Livret A était dans l’épaisseur du trait.

Mais en 2022 (rémunération à 2 % vs inflation proche de 6 %) et en 2023 (rehaussement du taux à 3 % vs une inflation encore soutenue), il est évident que le Livret A expose l’épargne des déposants au vent froid de la crise (le Livret d’Épargne Populaire est plus protecteur, avec un taux de 6,1 %, mais il est réservé aux ménages les plus modestes). Bref, le Livret vert ne souffrira pas de la concurrence du Livret A et, comme les dépôts sur les comptes courants voisinaient les 550 milliards en fin 2022 (soit plus de 18 000 euros pas par ménages), des liquidités sont donc disponibles.

Répondre à la défiance des épargnants envers les labels

Mais quelle pourrait être l’appétence spécifiquement pour un « Livret vert » ? Selon le dernier Baromètre de l’Investissement Responsable publié par CPR AM (1), cette orientation attire deux tiers des épargnants et un sur deux manifeste même une volonté de dédier plus de 30 % de son épargne à des produits verts. Le rendement n’est pas nécessairement le déterminant exclusif, puisque deux tiers des épargnants placent l’impact extra-financier au moins au même niveau que la performance financière. Mais ces exigences impliquent des garanties : or la moitié des épargnants sont sceptiques à l’égard de la crédibilité des labels (pourcentage en hausse…) et sont en attente d’indicateurs d’impact.

Ce tableau de bord reflète finalement des exigences assez élevées, et bienvenues. Bruno Le Maire s’est engagé à ce que les placements verts soient « bien dirigés vers des projets en ligne avec l’objectif de neutralité carbone« . Les épargnants y seront attentifs. Le label GREENFIN, créé par le ministère de la Transition écologique et solidaire, constitue une démarche en ce sens. D’autres efforts seront nécessaires, à l’évidence, pour convaincre massivement les Français qu’investir dans la décarbonation est la meilleure épargne de précaution.

 

(1) Etude réalisée sur la base de 1132 personnes possédant une assurance-vie, un PEA ou un compte titres, et/ou ayant une épargne de plus de 10 000€. 

 


 

Patrice Geoffron, membre du Cercle des économistes et professeur à l’université Paris-Dauphine

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