" Osons un débat éclairé "

Etude de cas

Agnès Bénassy-Quéré

Agnès Bénassy-Quéré

Nous sommes en juin. Le soleil est revenu sur Strasbourg et le Parlement européen nouvellement élu vote la fin de l’euro. Les gouvernements des Etats membres, sous la pression populaire, rendent les armes. Le Président français annonce le retour du franc pour la rentrée de septembre. Dans le même discours, il annule le projet de réduction des dépenses publiques de 50 milliards. La France ne respectera pas ses engagements européens en matière budgétaire mais cela n’a plus aucune importance : dès la rentrée, la Banque de France avancera chaque jour au gouvernement les sommes nécessaires pour payer les fonctionnaires et rembourser les épargnants qui ont placé leurs économies dans la dette publique. Rappelons qu’aujourd’hui, le Trésor français emprunte environ 700 millions d’euros par jour ouvrable sur les marchés financiers. Dans le climat d’incertitude provoqué par la fin de l’euro, on peut s’attendre à une grève des prêteurs. En attendant de pouvoir faire fonctionner la planche à billets, le gouvernement cesse de payer ses fournisseurs et une partie des fonctionnaires. Ils seront payés plus tard, en francs. Quant aux entreprises, elles n’ont qu’à se serrer la ceinture ou à disparaître, faute de créanciers.

Pour éviter une panique des épargnants, le gouvernement rétablit le contrôle des changes. Désormais, vous n’avez plus le droit, sauf autorisation spéciale, de sortir du pays plus de 300 euros par mois. Bien sûr, les exceptions sont nombreuses : comment dire non à une PME soudainement incapable de payer ses fournisseurs ? À un étudiant Erasmus dont la bourse n’est plus convertible ? De longues files d’attente se forment devant les guichets de la Banque de France qui n’arrive pas à traiter toutes les demandes dans les temps. Il faut aussi renforcer les contrôles aux frontières, sans oublier de faire les poches des randonneurs sur le GR5, à la frontière suisse. Le gouvernement se résout en juillet à restreindre, comme à Chypre, les retraits bancaires. En ce début d’été, les professionnels du tourisme sont furieux mais c’est un sacrifice à consentir pour retrouver la souveraineté monétaire. Enfin arrive le mois de septembre. Les employés de la Banque de France ont travaillé tout l’été pour que les distributeurs de billets soient approvisionnés en francs dès le 1er du mois, date de mise en circulation du nouveau nouveau franc au taux de 1 franc pour 1 euro. Les comptes en banque, les salaires, les retraites sont convertis à ce taux, et les commerçants sont priés de rétablir le double affichage des prix. Très vite, le franc se déprécie par rapport au Deutsche mark qui lui aussi a été rétabli, tandis qu’il s’apprécie par rapport à la lire italienne et à la peseta espagnole. Certains exportateurs voient leur compétitivité s’améliorer ; d’autres, au contraire, perdent des parts de marché, comme les producteurs de fruits du Roussillon, concurrencés par l’Espagne. Mais le franc se déprécie aussi par rapport au dollar, ce qui renchérit l’énergie et les matières premières.

Conséquence du financement monétaire annoncé des déficits publics (cf. les travaux historiques de Michael Bordo, Professeurs aux universités de Rutgers et de Stanford), l’inflation repasse à deux chiffres dès le mois de novembre. Cette hausse des prix ne pose pas de problème aux multinationales, qui ont basculé leur trésorerie en mark et en dollar. De même, les plus riches ont mis leur fortune à l’abri de l’inflation. La situation est différente pour les PME : quand l’inflation est à 12% par an, les délais de paiement coûtent 1% par mois. Et que dire des salariés modestes, dont les revenus sont systématiquement en retard sur les prix ? Ce n’est pas un hasard si l’on parle de taxe inflationniste : l’inflation est bien une ponction sur le pouvoir d’achat des plus modestes. Alors, après le ras-le-bol fiscal, préparez-vous au ras-le-bol monétaire.

Chronique diffusée sur France Culture le 13 février 2014

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