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Guerre des tarifs douaniers : qui gagne, qui perd ?

Le 8 mars 2018, Donald Trump a décidé d’augmenter les droits de douanes américains sur les importations d’acier et d’aluminium (2% des importations américaines), au nom de la sécurité nationale. Les mesures devraient entrer en vigueur le 23 mars et, dans cette perspective, chacun fourbit ses armes. Akiko Suwa-Eisenmann détaille la stratégie américaine et définit le cadre d’une éventuelle guerre commerciale.

Premièrement, il est bon de savoir diviser le camp adverse. Le Canada et le Mexique (1er et 4e exportateur d’acier et d’aluminium vers les Etats-Unis) échappent à l’augmentation des droits de douane, à condition de conclure la renégociation de l’Accord tripartite Nord-Américain (l’ALENA), une condition redoutable puisque pour l’instant, au bout de plusieurs mois, les négociateurs se sont mis d’accord à propos de 6 chapitres sur 30. En outre, le gouvernement américain s’est dit prêt à écouter les arguments des autres grands exportateurs d’acier et d’aluminium vers les Etats-Unis, l’UE, la Corée du Sud et le Japon, avant de mettre en œuvre sa décision, le 23 mars.

Les pays exportateurs fourbissent leurs armes en  guise de représailles, en essayant de frapper là où cela fait mal : les Européens taxeraient donc les exportations américaines d’acier ou de produits agricoles, en prenant soin de cibler des biens chers au cœur d’éminents Républicains: bourbon du Kentucky, fief de Mitch McConnell, le leader des Républicains au Sénat, et motos Harley-Davidson du Wisconsin, fief de son homologue à la Chambre, Paul Ryan. Cependant, les pays exportateurs risquent de se retrouver pris en tenailles : en effet, les producteurs d’acier et d’aluminium qui se voient fermer les portes du marché américain risquent de se rabattre sur les marchés restants ; les pays lésés par les Etats-Unis devraient alors aussi protéger leur marché intérieur.

Les hostilités au grand jour s’accompagnent d’un travail de sape. Le gouvernement américain justifie la hausse des taxes au nom de la sécurité nationale, prise dans un sens très large de protection des intérêts et des emplois américains (et non au sens militaire, le ministère de la Défense ayant fait part de l’inutilité de cette mesure). Une définition si large de la sécurité nationale pourrait donner des idées à d’autres pays. En outre, si les pays lésés déposent une plainte auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce, celle-ci risque de s’enliser. En effet, l’organe d’appel de l’OMC, qui statue en dernier ressort, ne compte plus que quatre membres, depuis que l’UE (une fois) puis, systématiquement, les Etats-Unis, bloquent les nominations. Fin septembre, ils ne seront plus que trois (soit le minimum requis pour statuer), dont une Chinoise qui devra se désister si son pays est concerné.

L’art de la guerre, selon Sun Tzu, c’est connaître ses ennemis. La montée des importations chinoises aurait causé la perte d’un million d’emplois aux Etats-Unis, dans les industries de la chaussure, des jouets et des meubles entre 1991 et 2007 (Autor,Dorn, Hanson, 2013), des pertes très concentrées dans quelques endroits. Les perdants n’ont pas pu bouger vers d’autres régions, ils se sont retirés de la vie active et vivent de transferts sociaux (que le gouvernement coupe par ailleurs). En l’occurrence, la réponse appropriée serait d’améliorer la protection… sociale.

Le prochain bras de fer qui s’annonce contre la Chine porte sur les droits de propriété intellectuelle. Mais en dehors de rares cas où les intérêts vitaux sont en jeu, l’arme commerciale ne va-t-elle pas surtout servir à renforcer les rentes américaines des services pharmaceutique, informatique ou financier ?

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