" Osons un débat éclairé "

Hésitations au sommet de l’Eurotower

Agnès Bénassy-Quéré

Agnès Bénassy-Quéré

Vous trouvez sans doute que je suis obsédée par la monnaie en général et par l’euro en particulier. Il se trouve que ma chronique est programmée le jeudi et que le Conseil des gouverneurs de la BCE se réunit justement le premier jeudi de chaque mois. Ce matin, les espoirs sont grands. L’inflation dans la zone euro est tombée à 1/2% en mars, en glissement annuel. On dira que c’est la faute à la baisse des prix de l’énergie et des matières premières, elle-même liée au ralentissement de la demande en Chine et dans d’autres pays émergents. Mais une fois purgée de ces effets de court terme, l’inflation ne dépasse pas 0,8%. On est loin de l’objectif de 2% de la BCE. Que se passe-t-il donc au sommet de l’Eurotower à Francfort ? La paralysie apparente de la BCE ces derniers mois s’explique par trois facteurs : une incertitude sur le diagnostic, un manque de confiance dans les instruments et, enfin, des pressions politique en Allemagne.

Le diagnostic, d’abord. On ne pilote pas une politique monétaire les yeux rivés sur le rétroviseur. L’inflation passée compte moins que l’inflation future. Or les anticipations d’inflation demeurent « bien ancrées » : les marchés anticipent une remontée de l’inflation dans les deux années à venir. C’est vrai, mais l’expérience japonaise n’est pas très rassurante : au début des années 1990, les anticipations d’inflation sont demeurées « bien ancrées » au Japon, avant de décrocher subitement. La vérité, c’est que nous sommes aujourd’hui à un doigt de la déflation. Ce n’est pas tant la baisse des prix en Espagne qui est inquiétante – après tout il faut bien que la compétitivité espagnole se redresse – que la faible inflation en Allemagne, seulement 1% malgré le quasi plein-emploi.

Passons maintenant aux doutes de la BCE sur ses instruments. Un taux d’intérêt négatif est difficilement praticable. Imaginez votre banque vous ponctionner un intérêt sur vos dépôts. Vous diriez que c’est le monde à l’envers. Mais la BCE doute aussi de l’efficacité d’une nouvelle opération de refinancement à long terme des banques. Si celles-ci sont frileuses aujourd’hui, ce n’est pas tant par manque de liquidité que parce qu’elles essaient d’alléger leurs bilans dans le cadre du nouvel environnement réglementaire. Pour relancer le crédit dans les pays qui en ont besoin, la BCE devrait en réalité contourner le système bancaire. Une solution serait de racheter aux banques leurs portefeuilles de crédits au PME, après titrisation. Mais l’opération est compliquée et suscite des angoisses en Allemagne. Et c’est là qu’on en arrive au problème politique. L’Allemagne, autrefois chantre de l’indépendance de la banque centrale, ne cesse de mettre des bâtons dans les roues de la BCE, par cour constitutionnelle interposée. Non à un assouplissement quantitatif consistant à gonfler le bilan de la BCE par l’achat de titres de dette publique, comme le font la Fed et la Banque d’Angleterre : ce serait du financement monétaire des déficits. Non à toute prise de risque par la BCE, car les pertes éventuelles seraient répercutées aux contribuables européens sans contrôle des parlements. Non aux taux d’intérêt faibles, qui ruinent les épargnants. Mais que diable, la BCE doit avant tout dire non à cette inflation trop faible qui entrave la reprise.

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