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Inflation, indexation des salaires, politique monétaire : quel est le meilleur arrangement ?

L’inflation repart de plus belle partout dans le monde, ce qui pousse les autorités monétaires à actionner le levier des taux d’intérêt. Après un rappel historique, Patrick Artus trace quelques pistes d’actions aujourd’hui incontournables pour protéger, in fine, notre  pouvoir d’achat.

A partir des années 1990, la nature de l’équilibre économique dans les pays de l’OCDE a beaucoup évolué pour parvenir à l’équilibre observé dans les années 2010 jusqu’en 2020. Cet équilibre des années 2010 était caractérisé par une inflation faible, un faible pouvoir de négociation des salariés conduisant à une mauvaise indexation des salaries aux prix, une politique monétaire continûment expansionniste.

Que les salaires soient faiblement indexés sur les prix n’était pas grave, puisque l’inflation était faible, ainsi donc que les pertes de pouvoir d’achat. La politique monétaire pouvait être expansionniste puisque l’inflation restait faible : ce modèle économique des années 2010 était donc cohérent.

Changement d’équilibre pour l’OCDE

Depuis l’année 2021, et encore plus en 2022, les économies des pays de l’OCDE passent à un autre équilibre où l’inflation devient forte. L’inflation résulte de multiples raretés qui sont apparues : rareté de l’énergie et des autres matières premières, avec la déformation de la structure de la demande des services vers les biens, puis avec la guerre en Ukraine et l’arrêt de l’importation de nombreuses matières premières depuis la Russie et l’Ukraine, plus tard avec la transition énergétique et le risque d’insuffisance globale d’énergie, de métaux nécessaires pour la transition.

L’indexation des salaires aux prix restant faible, l’inflation forte génère un problème social, le recul important du pouvoir d’achat (en ce moment, l’inflation en Europe est de 7,5% et les salaires nominaux ont augmenté de 2,5%). Cette perte de niveau de vie n’étant pas acceptable, il faut chercher un autre modèle économique.

Première possibilité : une politique monétaire restrictive

La première possibilité est de revenir à la pratique des années 1980-1990-2000 quand l’inflation apparaissait, la politique monétaire devenait rapidement très restrictive, ce qui cassait la croissance, faisait monter le chômage, et donc faisait baisser rapidement l’inflation. On repasserait à la pratique de politiques monétaires contracycliques, avec des récessions qui périodiquement corrigent l’inflation.

Le problème est que les économies s’étaient habituées à l’équilibre des années 2010 : les taux d’intérêt durablement bas avaient conduit à la forte hausse des taux d’endettement, des prix des actifs (actions, immobilier), avaient permis de soutenir l’emploi et l’investissement : le retour à des politiques monétaires périodiquement restrictives conduisent alors à des ajustements très pénibles : désendettement, recul des prix des actifs, fin du soutien de l’emploi par les politiques monétaires expansionnistes.

Deuxième possibilité : ne pas lutter contre l’inflation

La deuxième possibilité est de ne pas lutter contre l’inflation puisque le pouvoir d’achat des salariés, des retraités, des bénéficiaires de prestations sociales est protégé par la parfaite indexation sur les prix.

Mais si les revenus sont parfaitement indexés sur les prix, et si les prix suivent parfaitement les coûts salariaux, l’inflation peut devenir très forte : à l’équilibre, si un choc inflationniste vient d’une hausse des prix des importations, l’ensemble des prix augmente comme celui des importations (+20% sur un an aujourd’hui dans la zone euro). On voit alors le dilemme : il n’est pas socialement tenable d’avoir une inflation forte et une indexation faible des salaires aux prix ; on peut alors soit lutter fortement contre l’inflation, soit indexer complètement les salaires sur les prix.

Dans le premier cas, le retour à une politique monétaire restrictive après une longue période de taux d’intérêt très bas est très douloureux ; dans le second cas, le pouvoir d’achat est protégé mais l’inflation d’équilibre peut devenir extrêmement forte.

Que vont faire les pays de l’OCDE ? Le Japon est particulier puisque, hors énergie, il n’y apparaît pas d’inflation ; aux États-Unis et en Europe, les Banques Centrales se dirigent de plus en plus vers la première solution : ne pouvant accepter ni une perte violente de pouvoir d’achat, ni une inflation très élevée, elles vont provoquer une récession et un ajustement financier violent pour casser l’inflation.

 


 

Patrick Artus est membre du Cercle des économistes et Conseiller économique de Natixis

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