" Osons un débat éclairé "

La crainte de l’inflation : exagérée !

Quelle est la réalité du risque inflationniste ? La question occupe en bonne place les esprits, les débats de l’été, et agite de temps à autre les marchés financiers. Christian de Boissieu explique pourquoi, selon lui, l’évolution de l’indice des prix des biens et services devrait rester globalement modérée au cours des deux prochaines années

 

L’inflation n’est pas limitée à un certain nombre de pays émergents. Elle pointe aussi aux Etats-Unis (+5,4% en juillet dernier sur un an). La France est dans une configuration différente : +1,2% en juillet sur une année. Même constat d’inflation modérée pour l’ensemble de la zone euro.

Pour éclairer le débat, il paraît utile de faire une distinction entre les conditions permissives de l’inflation, et l’inflation proprement dite. La thèse défendue dans cet article est la suivante : si certaines conditions permissives d’un retour de l’inflation semblent aujourd’hui en place, cela ne signifie pas pour autant que l’inflation sur biens et services va remonter dans les pays avancés à l’horizon des deux prochaines années.

L’abondance de liquidités constitue l’une de ces conditions permissives. Elle découle des politiques monétaires très souples menées depuis 2009. Pour Milton Friedman et les monétaristes, l’inflation est « toujours et partout un phénomène monétaire ». Ce sont les variations de la masse monétaire qui provoquent, avec un délai, celles du niveau général des prix. Pourquoi ce schéma ne fonctionne pas depuis dix ans, alors que la masse monétaire mondiale et les bilans des banques centrales ont quasiment explosé ? D’une part, la création monétaire débridée est venue alimenter des bulles, donc l’inflation du prix de certains actifs, plutôt que l’inflation du prix des biens et services. Ce processus ne va pas s’interrompre tout d’un coup. D’autre part – et Friedman lui-même s’était fortement intéressé à ce type de phénomène -, la chute de la vitesse de circulation de la monnaie due à la crise a, en partie mais en partie seulement, « compensé » l’injection de nouvelles liquidités. Cet aspect-là devrait s’inverser avec la sortie de crise. Cela veut dire que l’abondance actuelle de liquidités constitue un réservoir d’accélération de la vitesse de circulation et d’inflation pour l’avenir, mais pas nécessairement à court terme.

Trois aspects à prendre en compte

Une seconde condition permissive de l’inflation vient de déséquilibres offre/demande liés à la pandémie. Une part significative des tensions inflationnistes de 2021 découle du rebond post-confinement de la demande face à des offres perturbées par la rupture de chaînes d’approvisionnement. La flambée des matières premières relève d’une telle problématique. Il s’agit là de phénomènes plus conjoncturels que structurels, qui pourraient se dissiper au fur et à mesure de la normalisation post-crise. Les banques centrales légitiment la poursuite de leur souplesse par le caractère transitoire des chocs sur l’offre, sur les matières premières.

A l’horizon 2022-2023, l’inflation sur biens et services devrait rester globalement modérée dans les pays avancés tant que la configuration actuelle se prolonge sur les aspects suivants :

1/ L’inflation ne pourrait s’installer que si les anticipations d’inflation étaient revues nettement à la hausse par les entreprises et les ménages. Nous sommes encore loin d’une telle situation, même s’il ne faut pas totalement écarter la possibilité de certains revirements brutaux.

2/ Pour que l’inflation s’installe, il faut que la boucle prix-salaires s’enclenche, comme dans les années 1970 : la hausse des prix entraîne celle des salaires, qui pousse les prix encore plus haut… Tel n’est pas le cas aujourd’hui, même dans les pays proches du plein emploi. La probabilité de certains ajustements salariaux indispensables ne signifie pas ipso facto le retour de cette boucle prix-salaires.

3/ Si la pandémie a déjà modifié certains traits de la mondialisation, elle n’altère pas l’impact de celle-ci sur la concurrence. La plupart des entreprises sont devenues des price takers du fait de la mondialisation, ce qui peut limiter la capacité pour elles de répercuter dans leurs prix certains chocs sur l’énergie, d’autres matières premières, etc. Cet aspect-là, qui joue sur le long terme, va rester valide aussi pour 2022-2023.

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