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La France est-elle encore dans la course en matière de recherche ?

Alors que le rôle joué par la recherche est crucial dans de multiples domaines, la part des dépenses de R&D en France représente seulement 2,2 % du PIB, ce qui est inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE mais aussi loin de l’objectif de 3 % fixé par la stratégie de Lisbonne en 2000. Si le trop faible niveau de financement peut en partie expliquer la perte de terrain de la France sur la scène scientifique internationale, est-ce le seul facteur ?

Concentrons-nous sur le cas du système universitaire français. Alors même que le temps de travail des enseignants-chercheurs est statutairement constitué « pour moitié, par les services d’enseignement » et « pour moitié, par une activité de recherche », force est de constater que le temps dont ceux-ci disposent pour leur activité de recherche se trouve très fortement amputé par de multiples tâches administratives. Cela s’est accentué avec l’autonomie des universités qui s’est accompagnée, pour nombre d’entre elles, par des difficultés financières majeures.

Universités, prêts étudiants, recherche : les retombées attendues du plan de relance

Pour ne pas cumuler les déficits, les universités n’ont souvent pas d’autre choix que de sacrifier certaines missions en pratiquant des gels de recrutements et en diminuant les budgets alloués à la recherche. Les effets de domino sont immédiats : en gelant des postes, la charge de travail incombant aux enseignants-chercheurs en fonction s’accroît continuellement, obérant d’autant le temps dédié à l’activité de recherche.

Faible attractivité

De façon liée, la recherche en France pâtit de carrières peu attractives sur le plan des rémunérations et des perspectives d’évolution, mais aussi de conditions de travail de plus en plus dégradées dans le secteur public et de lourdeurs administratives qui grèvent son efficacité. Cette situation a un impact sur les conditions de travail et les carrières des enseignants-chercheurs mais aussi, plus globalement, sur le positionnement et le rayonnement des universités françaises au niveau mondial.

Du côté des rémunérations, le salaire annuel brut d’entrée moyen des chercheurs en France (en 2013 et en parité de pouvoir d’achat) représentait 63 % de celui prévalant dans les pays de l’OCDE, et la situation n’a cessé de se dégrader. Ces divers éléments expliquent en grande partie la fuite des cerveaux français, ainsi que la faible attractivité des carrières scientifiques en France, tant pour les natifs que pour les chercheurs étrangers.

Réinvestissement massif

Sur le plan budgétaire, face à la contraction des crédits récurrents accordés aux laboratoires, ces derniers doivent impérativement développer le financement sur appels à projets. Si une telle politique peut impulser de nouvelles dynamiques et collaborations aux niveaux national et international, il convient de rappeler que les taux de succès aux appels à projets, notamment ceux financés par l’Agence nationale de la recherche, sont extrêmement faibles (16 % en 2018), largement inférieurs à ceux prévalant au niveau international. Par ailleurs, répondre aux appels à projets nécessite du temps – un bien devenu rare – qui n’est de plus pas affecté à la recherche elle-même.

La crise sanitaire actuelle s’accompagne de difficultés économiques majeures qui rendent d’autant plus nécessaire un réinvestissement massif dans la recherche, la connaissance et le savoir. Au-delà des stricts aspects budgétaires, l’attention doit être portée aux moyens humains, à la revalorisation des métiers de la recherche et à la préservation du temps dédié à l’activité de recherche. C’est un défi que la France doit impérativement relever.

 

Valérie Mignon, professeure d’économie à l’université Paris-Nanterre, chercheuse à EconomiX-CNRS, conseillère scientifique au Cepii et membre du Cercle des économistes.

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