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La science face au défi de la transparence

La science face au défi de la transparencePlusieurs événements récents ont braqué le projecteur sur la fiabilité de la recherche scientifique. En janvier dernier, la revue « Nature » publiait les travaux de biologistes de Kobe, au Japon, qui disaient avoir mis au point de nouvelles techniques de production de cellules souches; de nombreuses équipes tentèrent alors de répliquer les résultats, sans qu’aucune y parvînt. Des blogs ou des sites Web permirent à ces doutes d’être rapidement partagés, jusqu’à ce qu’une commission interne à leur institution de recherche établisse que les données avaient été frauduleusement manipulées par les responsables de l’étude. En mars, des astrophysiciens de Harvard annonçaient avoir détecté des traces d’ondes gravitationnelles formées immédiatement après le big bang. La mise en ligne des résultats et de l’ensemble des données permit à des dizaines d’équipes à travers le monde de chercher à s’assurer de leur validité et de nombreux chercheurs ont depuis émis de sérieux doutes.

Plus récemment, dans « Le Capital au XXIe siècle », Thomas Piketty a mis en évidence l’augmentation récente des inégalités, dans de nombreux pays et selon diverses mesures. Sa démonstration s’appuie sur les données du World Top Incomes Database, collectées depuis plusieurs années par des chercheurs de multiples pays. L’accès libre et gratuit à l’intégralité de ces données a permis à d’innombrables usagers, chercheurs, journalistes ou citoyens de soumettre les résultats à des analyses complémentaires. Parmi cette multitude, un journaliste du « Financial Times » a prétendu avoir détecté des données erronées, dont la correction remettrait en cause le constat principal de l’ouvrage.

Au contraire des deux histoires précédentes, cette dernière controverse se dégonfle déjà, à la vitesse où elle a été fabriquée par le « FT ». Mais ces trois histoires montrent à quel point l’activité scientifique est profondément affectée par le développement des technologies de l’information. Naguère, la certification des travaux de la recherche incombait aux seuls scientifiques et l’évaluation par les pairs reste à ce jour la modalité dominante par laquelle la communauté scientifique valide ou invalide des résultats. Les organisateurs d’une manifestation scientifique, comme les éditeurs des revues académiques, sont des chercheurs, choisis en fonction de leurs travaux passés, de l’impact de leurs publications, de leur réputation professionnelle. Ce sont eux qui décident de l’opportunité de diffuser les résultats d’une recherche. Ils s’appuient pour cela sur des évaluations conduites par les experts qu’ils sollicitent, dont les rapports restent le plus souvent anonymes.

Mais ce système est bouleversé par l’évolution technologique. L’ouverture des données, ainsi que de l’ensemble des codes des programmes statistiques ayant servi à les analyser, permet la multiplication des évaluations. L’affaire des cellules souches montre que celles-ci viennent parfois invalider les procédures de contrôle, y compris celles des revues scientifiques les plus prestigieuses. En somme, la multitude peut avoir raison contre les experts. Il se passe dans les milieux de la recherche ce qui s’est passé dans… le tourisme : jadis, on ne pouvait se passer des guides, de voyage ou gastronomiques, qui indiquaient les sites à visiter et recommandaient les meilleurs hôtels ou restaurants, ceux-ci ayant été notés par des experts envoyés par le guide touristique. Aujourd’hui, les avis subjectifs laissés sur des sites Web par des centaines de clients précédents sont si nombreux que leur synthèse apporte une information très précieuse aux visiteurs de passage. C’est bien l’évolution technologique qui permet ce partage d’information entre usagers et l’émergence d’une intelligence collective, bien résumée par la formule de Talleyrand : « Il y a quelqu’un qui est plus intelligent que Voltaire et plus puissant que l’empereur, c’est tout le monde. »

Les questions ouvertes par cette évolution sont considérables. Si les revues scientifiques ou les sociétés savantes perdent le monopole de l’évaluation de la recherche, sauront-elles se transformer pour survivre ? L’ouverture des données révèle aussi que les résultats de la recherche sont parfois fragiles et qu’ils peuvent être mis en cause par de nouveaux travaux. Le risque est que l’opinion publique en conclue que la démarche scientifique est peu fiable. Mais comme c’est par la confrontation incessante aux critiques que les connaissances progressent, la science peut aussi bénéficier grandement de la transparence accrue permise par l’ouverture des données; l’innovation et donc la croissance en sortiront renforcées.

 

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