" Osons un débat éclairé "

Le cas Elon Musk : les leçons à tirer

Quelques jours seulement après avoir trouvé un accord avec le gendarme boursier américain pour éviter des poursuites judiciaires pour « fraude », le patron de Tesla Elon Musk s’est moqué publiquement de l’institution dans un tweet envoyé jeudi. Une réponse à la hauteur ? Bertrand Jacquillat voit trois leçons à tirer de cette affaire typiquement américaine.

Imagine-t-on l’AMF (l’Autorité des Marchés Financiers) s’en prendre à Xavier Niel, patron emblématique d’une société du secteur technologique et parrain de l’écosystème français des start up ? C’est pourtant ce qui est arrivé de l’autre côté de l’Atlantique à Elon Musk, un disrupteur schumpétérien, pour employer un mot à la mode, qui a mis au point un système de paiement électronique fiable, fait faire une immense percée à la voiture électrique, et qui a bousculé d’autres activités comme les panneaux solaires, les lanceurs spatiaux, les trains à grande vitesse, etc.

Ne devrait-il pas être considéré comme un héros national ? Peut-être, mais la SEC (le gendarme de la bourse américaine) qui l’a condamné le 29 septembre dernier à une amende de 20 millions de dollars, et à quitter son poste de Président du Conseil d’Administration de Tesla, lui a rappelé qu’il n’était pas pour autant au-dessus des lois. Son crime : avoir trompé Wall Street, le temple du capitalisme, en affirmant qu’il avait les financements nécessaires, soit plusieurs dizaines de milliards de dollars, pour retirer Tesla de la cote à un prix très supérieur à son cours coté. En se rétractant quelques semaines plus tard, Elon Musk reconnaissait que le fonds souverain d’Arabie Saoudite, son partenaire dans cette opération, n’était pas aussi engagé qu’il l’avait laissé croire.

Première leçon à tirer du cas Elon Musk : l’économie américaine s’appuie encore sur un puissant marché financier avec des règles, dont il serait dangereux pour les sociétés qui y sont cotées de s’affranchir. La deuxième leçon à tirer, c’est justement la pesanteur de ces règles car le geste d’Elon Musk souligne en fait son regret d’être coté en bourse : la volatilité des cours représente une distraction inutile pour les salariés, l’obligation de publier des résultats trimestriels force au court-termisme dans les entreprises, ce qui peut entraver leur développement, etc… Ainsi, son geste a mis le projecteur sur les récriminations proférées à l’encontre des marchés financiers : leur lourdeur administrative, leur réglementation tatillonne, leur obligation de transparence, au risque que la communication des sociétés contribue à dévoiler des secrets à leurs concurrents.

De fait le nombre de sociétés cotées diminue dans le monde, et notamment sur le marché phare américain : d’environ 7300 en 1995, le nombre de sociétés cotées y est aujourd’hui inférieur à 4000. Et la tendance n’est pas prête de s’inverser avec l’assèchement des introductions en bourse. Et il y a des bonnes raisons à cela. Il y a pléthore d’argent dans le private equity qui est prêt à financer le développement des entreprises bien au-delà de ce qu’il faisait auparavant. Et d’ailleurs, on compte aujourd’hui des dizaines de licornes (entreprises dont la valeur dépasse le milliard de dollars) qui ne sont pas cotées, et dont certaines, aux noms familiers comme Uber ou Airbnb, pèsent même plusieurs dizaines de milliards de dollars.

C’est que la valeur des entreprises repose aujourd’hui davantage sur les idées que sur les immobilisations lourdes en infrastructures et en équipements. La plupart des entreprises disruptives ont donc moins besoin de capital et ont face à eux des investisseurs institutionnels, fonds de pension, compagnies d’assurance, etc. prêts à y investir sans passer par la bourse.

La troisième leçon du cas Musk, c’est que le pouvoir a changé de mains, il n’est plus dans celles des fournisseurs de capital mais dans celles de ses utilisateurs. C’est ce qui a provoqué la tentative avortée du petit génie de la finance qu’est aussi Elon Musk.

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