" Osons un débat éclairé "

C’est maintenant qu’il faut investir en Afrique

Un des premiers déplacements de la nouvelle Directrice Générale du FMI, Kristalina Georgieva, a été en Afrique, à Dakar, pour une conférence sur « Développement Durable et Dette soutenable : trouver le juste équilibre » organisée par la République du Sénégal, le FMI, l’ONU et le Cercle des Economistes. Là, les chefs d’Etats de l’UEMOA ont plaidé pour un « Consensus de Dakar », qui allierait renforcement de la gouvernance macroéconomique et institutionnelle de la part des Etats et un traitement différencié des risques et des ratios de dettes par les créditeurs, afin de financer ensemble des investissements d’avenir.

L’Afrique envisage son avenir de manière positive, en contraste avec le reste du monde. En effet, alors que les valeurs de la coopération internationale semblent remises en cause, l’Afrique se lance dans le processus d’un Accord de libre-échange à l’échelle du continent, une construction juridique sur plusieurs années. Alors que la croissance mondiale ralentit, passant de 4% en 2017 à environ 3,3% en 2019, l’Afrique Sub-Saharienne (hors Afrique du Sud) maintient son rythme à 4,2% en 2019 et plusieurs pays africains se trouvent à l’aube d’un boom pétrolier et minier.

Mais de quelle Afrique parle-t-on  ou plutôt, de combien d’Afriques ? Ce qui frappe, en effet, c’est la diversité des pays africains. En termes de croissance du PIB, ce sont les pays sans ressources pétrolières qui tirent leur épingle du jeu : les 7% de croissance du Sénégal contrastent avec le -0.7% de l’Angola.  Au sein des pays eux-mêmes, l’inégalité est grande entre zones rurales et villes. Les trajectoires structurelles sont aussi variées : elles ne vont pas linéairement de l’agriculture vers l’industrie, mais peuvent s’orienter vers les services, un secteur porteur d’emplois, ou vers un renforcement du secteur agricole lui-même, avec le développement de filières plus productives ou à haute valeur ajoutée. C’est, on l’oublie souvent, la voie choisie par les pays asiatiques : leur essor a reposé tout d’abord sur une hausse de la productivité agricole.

On parle souvent de l’Afrique comme un continent d’opportunités. Mais c’est dès maintenant que tout se joue. Tout d’abord, en Afrique comme ailleurs, l’urgence climatique appelle à mettre fin à l’augmentation des émissions d’ici 2020 avant de les réduire suffisamment de manière à passer en deçà de la trajectoire actuelle de 3 degrés de réchauffement d’ici à 2100 et éviter la catastrophe.

L’Afrique surtout, se retrouve enfin riche en hommes. On sait que la population africaine va doubler d’ici 2050 et passer à 2 milliards d’habitants et que ce doublement requiert une croissance moyenne de 6,9% par an du PIB afin de créer suffisamment d’emplois. Mais cette opportunité future occulte une réalité d’aujourd’hui : l’Afrique compte dès maintenant 1,3 milliard d’habitants, soit 750 millions de personnes en âge de travailler… et qui travaillent. Il s’agit d’hommes et de femmes qui développent leur activité, dans l’agriculture et le secteur informel (services et petite industrie) malgré l’absence de crédit et d’assurance. Ce sont de véritables entrepreneurs car ils prennent des risques et innovent : ils savent adapter la technologie « avec les moyens du bord » à une demande qu’ils connaissent bien. Comme le disait le prix Nobel Michael Kremer dans un article célèbre, une population nombreuse, c’est le gage d’un fourmillement d’idées.

Le problème, c’est de changer d’échelle et de grandir. Cela vaut pour les petites entreprises. Mais cela vaut encore plus pour les entreprises déjà grandes, informelles ou non, qui peuvent entraîner plusieurs petites dans son sillage, comme fournisseurs ou sous-traitants. Pour cela, il faut développer le marché domestique, relier les zones rurales aux villes, afin que se déroule sans obstacles, l’échange des biens et des idées. Alors oui pour des investissements d’avenir, mais coordonnés et répondant au plus près aux besoins et aux capacités des très nombreux entrepreneurs africains.

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