" Osons un débat éclairé "

L’économie est-elle entrée dans un cycle sans croissance ?

croissanceFinie la croissance ? Oubliées les Trente Glorieuses ? Destruction de valeurs sociales, humaines, environnementales ? Stagnation séculaire ? Quelle société sans investissement ni création de valeurs, mais quelles valeurs ? Le monde peut-il réellement vivre sans croissance ?

 

Introduction

C’est un fait : depuis le début des années 1980, la richesse produite par les pays industrialisés progresse à un rythme de moins en moins soutenu. Est-on pour autant entré dans un monde sans croissance, ou faut-il abandonner le totem P.I.B. sans cesse invoqué pour expliquer et justifier le bien être humain et le développement de nos sociétés ?

Ces questions, un certain nombre d’économistes et d’associations se les posent. Les acteurs concernés poussent même très loin la conceptualisation de ce monde qui, à leurs yeux, serait idéal. Mais cet idéal est-il atteignable, est-il au moins souhaitable ?

Quelles que soient leurs écoles, les économistes s’interrogent sur les raisons de la croissance anémique dans les pays occidentaux. A l’aune de cette réflexion, il est bon de poser le débat et de chercher les clefs pour en comprendre les tenants et les aboutissants.

Tel est l’objectif de ce nouveau Décryptage éco proposé par le Cercle des économistes.

 

I. Eléments du débat

I. La croissance économique : un sujet qui fait débat

a. Le Produit Intérieur Brut : définition de l’indicateur de la croissance économique

L’indicateur économique de référence est actuellement le Produit Intérieur Brut – communément appelé le PIB. Il mesure le niveau de production d’un pays à travers la somme des valeurs ajoutées de l’économie. C’est la variation de cet indicateur entre deux temporalités qui permet de mesurer le taux de croissance économique.

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Figure 1 Croissance trimestrielle et croissance annuelle en France (La Finance pour tous )

Le PIB permet de mesurer la richesse créée et accumulée dans une économie pendant une année ou une temporalité donnée. Il est« la valeur au marché de tous les biens et services finaux produits [ou consommés] dans une économie au cours d’une période donnée » . Il fait l’objet d’une triple définition.

Trois méthodes de calcul de cet agrégat des richesses sont envisageables en suivant la triple définition de cet instrument :

– Par les dépenses:

Cette méthode de calcul est la plus répandue et « populaire » . Elle détermine le PIB selon une optique de la demande. Le PIB est défini comme la somme de toutes les dépenses de consommation finale par les résidents d’une économie au cours d’une période donnée – généralement une année.

Ressources = Emplois

M + PIB = C + G + I + (X-M)

Où : C est la variable représentant les dépenses de consommation ; G celle représentant les dépenses gouvernementales ; I est la variable représentant les investissements privés et publics ; X celle des exportations et M des importations.

– Par les revenus:

Le PIB est également défini comme la somme des revenus des particuliers, des entreprises et des administrations publiques. Cette méthode de calcul détermine le PIB à partir du revenu.

PIB = W + RM + EBE + Tin

Où : W est le total de la rémunération des travailleurs ; RM est le revenu mixte net des entreprises non incorporées ; EBE est l’excédent brut d’exploitation et Tin est le total des taxes indirectes nettes sur la production et les importations.

– Par la valeur ajoutée ou la production :

La troisième définition du PIB est basée sur la somme des valeurs ajoutées nettes de la production d’une économie. C’est l’agrégat des valeurs ajoutées individuelles (VAi) de l’économie. Cette méthode de calcul détermine le PIB selon la production des unités résidentes.

Les trois méthodes de calcul permettent d’obtenir le même résultat et mesurent la même richesse créée selon « trois points de vue différents » .

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Figure 2 Les différentes approches du PIB (Comptanat)

 

La mesure du PIB obéit à des « règles internationales » et des normes statistiques et conceptuelles. Ainsi, le PIB est un indicateur normalisé permettant de comparer la croissance économique entre différentes économies.

En effet, Joseph E. Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi (2009)   avancent que le « PIB constitue l’instrument de mesure de l’activité économique le plus largement utilisé ». Cet agrégat est principalement utilisé pour des comparaisons et le calcul de nombreux ratios économiques.

Si le PIB est « l’agrégat de la comptabilité nationale le plus connu » , il est également sujet à de nombreuses critiques quant à sa capacité de mesurer la richesse économique.

b. Les limites de la mesure de la croissance

Longuement critiqué  pour son insuffisance à estimer la richesse, l’indicateur de l’accumulation de richesse de l’économie – le PIB – a fait l’objet d’une étude par la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi en 2009. Dans leur rapport, Joseph E. Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi (2009) invoquent de nombreuses limites à la mesure actuelle de la croissance économique.

La principale limite reprochée au PIB est de mesurer seulement les activités économiques issues de la sphère de la « production » marchande.

La Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi (2009) met en avant le fait que le PIB ne comptabilise pas certaines richesses créées dans la mesure où cet indicateur du dynamisme économique s’appuie uniquement sur la comptabilité nationale – et donc sur ce qui est déclaré à l’État. Ainsi, ces auteurs énumèrent notamment les activités bénévoles, les activités domestiques et les activités non marchandes comme des éléments créateurs de richesses – ou pouvant créer sur le long terme de la croissance – mais non comptabilisées dans le PIB.

Une autre limite, mentionnée par la Commission, est qu’il ne tient pas compte des effets négatifs de l’économie et de l’accumulation de la richesse. La comptabilisation monétaire et marchande de la valeur ajoutée ne permet pas de distinguer les externalités de cette dernière.

Francis Malherbe met en avant l’exemple de « l’accident de la route » qui participe à l’augmentation de la richesse – et donc à améliorer la santé économique du pays – en contribuant à l’augmentation de l’activité économique à travers les réparations effectuées ou les services de secours « consommés ». Alors que les dégâts ne sont pas comptabilisés comme une destruction des richesses, les réparations de ces dégâts le sont dans la mesure du PIB.

Cette remarque avait également été appuyée par Patrick Viveret, conseiller référencier à la Cour des comptes, en 2002, dans son rapport « Reconsidérer la richesse », dans lequel il soulignait que si « aucun accident matériel ou corporel, ni mort, ni blessé sur les routes de France [n’avait lieu] l’année prochaine, notre PIB baisserait de manière significative ».

Enfin, on souligne la limite comptable de la mesure « intérieure » de la richesse. Le PIB ne semble pas tenir compte du « fait qu’une partie de [la] richesse [produite sur le territoire national] a été créée par des non-résidents », d’après Francis Malherbe , et que des résidents ont créé de la richesse dans le reste du monde. Cette critique a donné lieu au développement, en partant de l’approche par le revenu du PIB, de l’agrégat du Revenu National Brut (RNB).

Le RNB est défini comme le revenu des résidents, d’un territoire national, issu de la production. La conception de résidence  de la comptabilité nationale s’ajoute à l’agrégat de la richesse économique. Ainsi, sur la base du PIB sont additionnés les rémunérations, les revenus et les subventions reçues du reste du monde. Sont soustraits  les rémunérations, les revenus et les impôts versés au reste du monde.

Le calcul du RNB peut s’écrire :

RNB = PIB + Rémunération des salariés reçue du reste du monde

– Rémunération des salariés payée au reste du monde

– Impôts sur la production et les importations versés au reste du monde

+ Subventions reçues du reste du monde

+ Revenus de la propriété reçus du reste du monde

– Revenus de la propriété payés au reste du monde

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Figure 3 Comparaison entre le RNB et le PIB (Comptanet.fr )

 

De nombreuses autres limites et critiques concernent le PIB. Cependant, elles ne portent pas sur sa capacité à mesurer la richesse économique mais sur sa capacité à tenir compte d’autres domaines. Ces limites et critiques sont biaisées  par l’intérêt porté sur ces domaines et la volonté de les intégrer dans un indicateur largement diffusé.

II. Un panorama hétérogène de la croissance mondiale

a. Le redressement de la croissance mondiale reste hors de portée

Alors que la croissance économique – indicateur de la richesse économique – est au centre des objectifs des pouvoirs publics, la croissance mondiale reste « hors de portée »  et « atone ». La prévision pour la croissance moyenne mondiale est en baisse par rapport à la croissance effective de 2015 : 2,7% contre 2,8% au deuxième semestre 2015  , soit une baisse estimée de 0,1 points au début trimestre de 2016.

Cependant, loin de représenter une moyenne homogène de l’économie mondiale, elle est le résultat arithmétique d’un panorama hétérogène de la croissance mondiale. Les prévisions de croissance fluctuent selon les zones géographiques entre une moyenne de 0,6 % pour l’Amérique du Sud et une moyenne de 5,4 % pour l’Asie (hors Japon) –L’Union Européenne affiche une croissance moyenne de 1.8 %, l’Amérique du Nord 2,3% et l’Afrique 3,5%.

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Figure 4 La cartographie de la croissance mondiale en 2016 (World Economic Forum)

 

Les prévisions de la croissance économique mondiale expose une croissance stable à un niveau compris entre 2 et 4 %. Cette stabilité résulte d’une réduction depuis 2012 de la croissance économique chinoise – moteur de l’économie mondiale – malgré une reprise de la croissance des pays développés à des niveaux d’avant 2007.

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Figure 5 Prévisions du PIB mondiale (Le Monde)

 

Comme souligné par le FMI (2016) , la croissance effective mondiale – croissance réelle mesurée sur une période donnée – est positive mais reste fragile. La projection de la croissance mondiale reste « modeste » et de nombreuses révisions de cette croissance sont effectuées « à la baisse ». De multiples craintes subsistent pour les pays émergents comme la Chine et les pays en développement comme le Brésil, la Russie ou les pays producteurs de matières premières.

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Figure 6 Révision à la baisse des prévisions de croissance 2016-2017 (OCDE)

 

La persistance d’une croissance faible menace l’économie mondiale d’anticipations auto réalisatrices ne permettant pas aux pays en difficulté de retrouver le chemin de la croissance. D’après le FMI (2016) , pour prévenir les risques d’un affaiblissement de la croissance mondiale, une révision du modèle de croissance de ces pays doit être effectuée à travers des modifications structurelles pour relancer les économies.

b. Les pays en développement : le moteur de la croissance mondiale en difficulté

Le ralentissement de l’économie mondiale résulte du fléchissement de la croissance chinoise  et des pays en développement.

Nouriel Roubini (2016) souligne que les difficultés de croissance et de croissance potentielle – niveau maximal de croissance possible sur le long terme, avec la pleine utilisation des capacités de production de l’économie – des pays en développement sont le résultat :

– d’un accroissement de la dette publique et privée ;

– d’un accroissement de l’épargne en monnaie nationale dans ces pays ;

– de nombreuses incertitudes limitant les investissements et la circulation du capital.

Il ressort de l’analyse du FMI (2016) que le ralentissement des pays en développement et émergents résulte d’une diminution de la demande intérieure de ces pays et d’une faiblesse de l’activité des principaux secteurs de ces économies. Les difficultés des économies en développement sont également dues à une série de facteurs non économiques comme les tensions géopolitiques et les discordes politiques dans des régions productrices de matières premières.

Le FMI souligne également (2016) que les performances et les difficultés sont relativement diversifiées entre les pays « émergents ». La mise en œuvre de réformes structurelles dans le « domaine de la gouvernance et du climat des affaires » peut avoir des impacts positifs « susceptibles de compenser les effets d’un ralentissement de la croissance » comme  l’affirme Jim Yong Kim, président du Groupe Banque mondiale 

De plus, comme le souligne le communiqué de presse de la Banque Mondiale en 2016 : « L’atonie de la croissance dans les principaux pays émergents pèse sur la croissance mondiale » et sur  « les objectifs consistant à réduire la pauvreté et à promouvoir une prospérité partagée ».

La croissance économique mondiale dépend de la situation des pays émergents et des pays en développement, et de leurs capacités à surmonter leurs difficultés en s’interrogeant sur leurs vulnérabilités intérieures.

Alain Piveteau et Eric Rougier (2010)  met en avant que la distinction entre pays en développement et pays émergent suit une logique financière. L’émergence est une notion faisant référence au développement d’un système financier complexe dans certains pays en développement comme les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.

La gestion monétaire et financière des pays émergents – notamment celle de la Chine – s’avère « problématique » pour la croissance mondiale. En effet, la dépréciation du yuan – officiellement appelé « renminbi » – a entraîné une forte instabilité et volatilité sur les marchés monétaires et financiers mondiaux et les échanges internationaux entre les pays en développement.

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Figure 7 Dépréciation du yuan et diminution des réserves de change (OCDE)

 

Michel Aglietta (2014), dans son entretien avec Pepita Ould Ahmed et Jean-François Ponsot, expose cette instabilité monétaire et financière comme le résultat :

– D’une concurrence pour la liquidité entre les investisseurs institutionnels des pays en développement ;

– L’accroissement de l’incertitude et de la volatilité à l’échelle internationale dans le système monétaire et financier ;

– un système monétaire et financier ne permettant plus de répondre à la multiplicité d’objectifs des différents niveaux – global, régional, national et local.

Selon Michel Aglietta (2014), la croissance économique nécessite un certain niveau de stabilité monétaire et financière à travers :

– Le développement d’un cadre institutionnel stable et la mise en place d’autorités de régulation monétaire et financière ;

– Le développement de systèmes de paiement permettant de faciliter les échanges aux différents niveaux ;

– Une multiplicité d’instruments pour « éviter des conflits d’objectifs » entre les différents niveaux.

Sheila C. Bair (2015)  rapporte, en reprenant l’analyse de Hyman Minsky, que le système monétaire et financier est un canal de croissance qui peut devenir « déstabilisante » pour la croissance en contribuant à une sur-réaction des anticipations des agents économiques aux cycles économiques. L’instabilité du système monétaire et financier des pays émergents contribue fortement à la faiblesse de la croissance mondiale.

Ainsi, d’après les recommandations du FMI (2016), les pays en développement doivent essayer de :

– Renforcer leurs sécurités monétaires et financières, et leur système prudentiel.

– Contenir les répercussions des chocs non économiques en développant leurs institutions

c. Un sensible ralentissement des échanges internationaux pesant sur la croissance mondiale et des pays en développement.

Le ralentissement des échanges internationaux pèse sur la croissance mondiale. En effet, sur la période allant de 1996 à 2014, le commerce mondial a été une variable déterminante du PIB mondial.  Les variations des échanges mondiaux en volume ont fortement influencé la croissance mondiale.

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Figure 8 Échanges mondiaux en volume et PIB mondial (OCDE )

 

Le ralentissement des échanges internationaux s’explique par une diminution des excédents des pays exportateurs de pétrole et de matières premières – comme le Vénézuela, la Russie et les pays de l’OPEP – et des déficits des pays importateurs de ces produits de base. Cette diminution est le résultat d’une diminution du cours des produits de base.

En effet, la diminution du cours des produits de base a plongé les économies exportatrices comme le Brésil et la Russie dans une phase de récession et a entraîné de nombreuses dépréciations des monnaies des pays en développement.  Cependant, compte tenu des nombreuses difficultés dans le marché interne de ces pays, la croissance des pays en développement n’a pas eu l’opportunité  de profiter du gain de compétitivité – apportant généralement un surplus d’exportation.

De ce fait, la réduction et l’instabilité du cours des produits de base à l’échelle internationale ont impacté négativement la croissance des pays en développement. De nombreuses économies en développement se sont spécialisées dans la production de matières premières, comme il évoque Nouriel Roubini (2016) 

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Figure 9 Cours des produits de base (OCDE)

 

Le FMI relève (2016) que « les positions créditrices et débitrices nettes continuent de s’élargir ». L’accroissement des déséquilibres mondiaux nets des actifs financiers est corrélé négativement avec les variations des termes de l’échange. À mesure que les déséquilibres financiers augmentent à l’échelle internationale, on assiste à une contraction des échanges internationaux compte tenu de la difficulté de certains pays à pouvoir financer les importations

En effet, les risques financiers grandissants dans les pays en développement et l’augmentation du taux d’endettement de ces pays – majoritairement libellées en dollars – ont entraîné un resserrement des conditions d’emprunts et financière dans ces pays. L’accroissement du taux d’endettement est le résultat de l’appréciation du dollar américain et d’un ralentissement de l’activité économique de ces pays.

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Figure 10 Comparaison entre les déséquilibres mondiaux des soldes courants et des actifs financiers

 

d. Les pays développés : le retour de la croissance ?

La croissance semble se redresser dans les pays développés, à mesure que la croissance des économies de marché émergentes ralentit. Le taux de croissance de la majorité des pays en développement est revenu à un niveau d’avant crise 2007. C’est le cas des pays de la zone euro  et notamment de la France et de l’Espagne.

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Figure 11 Le PIB de la zone euro

 

La croissance dans les pays avancés, selon le FMI (2016) , devrait rester modeste compte tenu du vieillissement de la population de ces pays et d’un affaiblissement de la croissance de la productivité totale des facteurs de production.

Bien que restant à des niveaux relativement faibles et « modestes » – 0,5 % pour le PIB français et 0,8 % pour le PIB espagnol au dernier trimestre 2015 –, les pays développés semblent avoir repris le chemin de la croissance avec des « performances [surpassant] même la plus optimiste des prévisions » .

Cette hausse de la croissance des pays développés a été portée par la consommation des ménages comme il est observé au premier trimestre 2016 en France . Cependant, la croissance reste à un niveau relativement faible dans les pays développés, comme aux États-Unis, compte tenu d’un fléchissement de l’investissement et des exportations.

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Figure 12 Contributions à la croissance du PIB aux États-Unis 2014-2015 (OCDE)

 

Comme il est souligné par le FMI (2016) , la consommation ne peut pas à elle seule porter la reprise de la croissance des pays développés. L’économie des pays développés dépend aussi des fluctuations de la demande intérieure finale – qui reste à des niveaux relativement faibles. Ce constat est marqué par la volonté des pays développés de réduire leurs déficits extérieurs compte tenu du mauvais état des bilans publics.

Il ressort également de l’analyse du FMI (2016) que les pays développés ont profité de la baisse du prix du pétrole et du cours des matières premières. Cependant, les incertitudes concernant la baisse de l’investissement et des dépenses publiques dans les pays développés – comme dans la zone euro – ont un impact négatif significatif sur la croissance de ces pays, comme il est mentionné par l’OCDE (2016) 

D’après l’OCDE (2016), la croissance et la demande mondiale ont été soutenues par la politique monétaire « non conventionnelle » et « accommandante » des banques centrales des pays développés, . Ces politiques monétaires ont eu pour conséquence un accroissement de la taille du bilan des principales banques centrales comme celui de la BCE, de la Banque du Japon et de la FED.

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Figure 13 Taille du bilan des banques centrales (OCDE)

 

L’assainissement budgétaire des pays développés pèse et a un effet restrictif sur la reprise de la croissance des pays de la zone euro. La restriction budgétaire freine la croissance des pays avancés et diminue la capacité de l’État à mettre en place des politiques d’investissement public et d’accompagnement des politiques structurelles « propices à la croissance », selon l’OCDE (2016).

Le FMI (2016) atteste que les réformes, en particulier structurelles – comme la réforme du marché du travail –, accroissent la productivité et la croissance à moyen et long terme. Mais ces réformes sont restrictives à court terme pour la croissance économique. Des mesures budgétaires sont nécessaires, selon l’instance internationale, pour accompagner ces réformes afin d’éviter de freiner la demande.

Cependant, comme il est souligné par l’OCDE (2016), ces mesures budgétaires ne doivent pas être prises indépendamment par les pays développés mais doivent être coordonnées et collectives pour renforcer la croissance et la viabilité des finances publiques. Le renforcement de la croissance doit passer par des mesures ciblant l’investissement et la productivité qui font actuellement défaut dans la majorité des pays avancés.

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Figure 14 Action collective sur le plan budgétaire dans toutes les économies de l’OCDE

 

Le FMI (2016) émet trois recommandations pour développer une croissance durable et plus élevée :

– Des réformes structurelles permettant de renforcer les marchés intérieurs de ces économies ;

– La poursuite d’une politique monétaire « accommodante »

– Le soutien de la politique budgétaire et d’une politique de gestion des risques.

II. Le sujet dans la théorie économique

I. Une économie sans croissance : entre réalité et utopie

a.Croissance, fluctuation et crise : l’économie est-elle entrée dans un cycle sans croissance ?

La théorie des cycles économiques est au cœur de l’analyse dynamique de la croissance économique depuis les années quatre-vingt. Elle explique notamment les fluctuations du taux de croissance – l’ensemble des mouvements de ralentissement ou d’accélération de la croissance économique 

Les cycles économiques sont caractérisés par des fluctuations régulières de la croissance. Trois principaux cycles ont été référencés :

– Les cycles de Kitchin sont des cycles de court terme qui durent moins de quatre ans. Ils sont liés à la vie des produits et à la production des stocks.

– Les cycles de Juglar ou « cycle des affaires » sont des cycles de moyen terme qui durent entre huit et dix ans. Ils sont liés à la prise de risque des agents économiques.

– Les cycles de Kondratieff sont des cycles longs qui durent entre quarante et cinquante ans. Ils sont liés aux prix, à l’emploi et à la production totale d’une économie.

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Figure 15 Les différents cycles économiques (Kartable )

 

Ces cycles ont en commun de suivre différentes phases. D’abord, la phase d’expansion – accroissement de la croissance et du volume de production. S’en suit une phase de ralentissement – l’accélération de la croissance et du volume de production ralentit. Cette phase de ralentissement, caractérisée par un taux de croissance faible, s’arrête par une étape de crise qui est généralement un point de retournement de la conjoncture.

La crise peut conduire à une récession si le taux de croissance est négatif pendant au moins deux trimestres consécutifs. Si la baisse de la croissance et de la production est importante et durable, le cycle entre dans une phase de dépression.

Les phases d’un cycle reprennent lorsque un cycle entre dans une phase de reprise. La phase de reprise se caractérise par un taux de croissance qui redevient positif.

Comme expliqué par Baher Ibrahim Elgahry (2014) , les pays développés et les pays émergents suivent différents cycles économiques – généralement découplés – selon leur régime de change. La synchronisation des cycles entre les pays développés et les pays émergents est forte dans un régime de change intermédiaire – un régime de change flexible mais dans lequel la monnaie nationale est ancrée à une autre monnaie. Ainsi, les réserves de change des pays émergents en devises des pays développés – tel que le dollar américain – augmentent la « pro cyclicité » du cycle économique et donc les risques de ralentissements systémiques.

Depuis 1950, on observe une tendance baissière du taux de croissance de l’économie française sur le long terme pour atteindre des valeurs nulles. Une question se pose : Entre-t-on dans des cycles sans croissance ?

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Figure 16 Évolution du taux de croissance annuel du PIB français en volume entre 1950 et 2014 (La Finance pour tous)

 

b.L’essoufflement de la société industrielle : la fin de l’ère de la croissance ?

Duarte Rolo (2009) rapporte, d’après le livre de Daniel Cohen « Les Trois leçons sur la société postindustrielle », que l’évolution de la société des trente dernières années mène à un triple constat :

– Une rupture de la société industrielle poussée par la grappe d’innovations de la « troisième révolution industrielle » la révolution informatique. Celle-ci a contribué à une révolution financière, une révolution de l’organisation du travail, culturelle et de la distribution sociale.

– Le développement d’une économie monde animée par la mondialisation des échanges internationaux et des flux de capitaux. L’économie monde a permis une convergence des différents modèles économiques. Toutefois, elle a également produit une fracture entre « le monde vécu » et le « monde attendu » par les sociétés industrielles.

– L’émergence d’une dichotomie, basée sur les rapports sociaux, dans les institutions porteuses du modèle social. Cette contradiction dans le modèle de la société industrielle – basé sur un modèle de croissance – explique la grande difficulté des économies à favoriser la cohésion sociale  et un modèle de redistribution des richesses. En effet, l’accroissement des richesses – en suivant cette dichotomie dans les institutions – accroit les inégalités sociales.

Daniel Cohen, d’après Duarte Rolo (2009), souligne un décalage entre des économies orientant leurs modèles sur la croissance et l’essoufflement de la société industrielle. Le passage d’une société industrielle à une société postindustrielle impose une redéfinition des objectifs de société vers des objectifs qualitatifs. Cette redéfinition des objectifs de société contribuera à une convergence entre les attentes de la société et ses possibilités.

Cette observation est également appuyée par Jeremy Rifkin dans son essai « La Troisième révolution industrielle ». La croissance économique, selon lui, dépend d’un modèle énergétique et technologique fortifiant les externalités négatives de la société.

Il attire l’attention sur le fait que l’essoufflement de la société industrielle et de son modèle de croissance, impose le développement d’une alternative économique et sociale fondée sur les progrès technologiques et énergétiques de la société industrielle.

Certains auteurs, comme rapporté par le philosophe Fabrice Flipo, attestent la thèse de la « décroissance » – la réduction progressive de la production – comme une nécessité notamment pour les raisons suivantes :

– Une raison « écologiste »: la décroissance est le résultat d’une politique écologique qui vise à réduire la production utilisant des énergies fossiles pour limiter l’impact environnemental.

– Une raison « bioéconomiste »: la décroissance est le résultat d’une raréfaction des ressources et de la destruction de la richesse basée sur ces ressources. Cette thèse souligne la possibilité d’une croissance parallèle basée sur de nouvelles ressources.

– Une raison « anthropologique »: la décroissance est nécessaire pour un nouveau rapport de l’Homme à la richesse, à la répartition de cette richesse et à l’échange. En cherchant à réduire la richesse économique, il est supposé que les politiques devront se tourner vers le lien social pour produire une certaine forme de croissance non-économique.

– Une raison « démocratique »: la décroissance est nécessaire dans la mesure où l’accumulation de richesse provoquerait « l’effondrement des liens sous le poids de la marchandisation ». La nécessité de la décroissance est avant tout marquée par le besoin de s’interroger sur la richesse, notre rapport à la richesse, le rapport entre la richesse et la société et les inégalités sociales.

Tim Jackson souligne qu’une prospérité sans croissance – ou avec de la « décroissance » – est possible mais nécessite de comprendre la notion de croissance, ses déterminants et ses limites.

c. Faut-il se passer de la croissance économique ?

Depuis une cinquantaine d’années, les Trente Glorieuses ont laissé place dans les économies développées à une économie alternant croissance atone et récession. La croissance semblait avoir suivi les flux de capitaux vers les pays en développement. Mais, considérant la nature du ralentissement de la croissance de ces pays, une question se pose : peut-on se passer de la croissance économique ?

Une croissance nulle sur une année – ou plus précisément un taux de croissance nul – signifie que « le niveau de richesses créées est équivalent à celui de l’année précédente » . Il n’y a pas eu de variations entre ces deux années. L’absence de croissance a des « conséquences négatives » sur les finances publiques.

Tim Jackson souligne qu’il est possible de se passer de la croissance économique et de connaître une certaine forme de prospérité économique. Cette prospérité économique peut passer par une « décroissance » – la destruction de la richesse accumulée. Selon cet auteur, les questions de la répartition des ressources, de la consommation et de la richesse déjà créée sont au centre du développement d’une prospérité sans croissance.

Daniel Cohen souligne qu’il existe un modèle de société « hors de la croissance ». Le dépassement des objectifs de croissance économique serait une condition préalable au passage d’une société industrielle à une société post-industrielle.

Selon Jeremy Rifkin, la croissance économique n’est plus pertinente dans une société postindustrielle basée sur un modèle reposant sur les énergies vertes et sur internet : . L’économiste montre que la croissance – accumulation de richesses – est pertinente dans une société fondée sur :

– Une énergie rare et concentrée nécessitant de gros investissements financiers ;

– Un modèle économique et politique centralisé et non-coopératif.

Jeremy Rifkin attire l’attention sur le fait que la société industrielle présente ces caractéristiques à travers :

– Les énergies fossiles – énergies limitées et concentrées dans des gisements nécessitant de gros investissements financiers ;

– Un modèle capitaliste et national – développant un modèle sociétal centralisé et non-coopératif.

La société postindustrielle peut se passer de la croissance économique à condition de trouver un modèle économique, social, énergétique et politique alternatif. Ce modèle doit permettre de dépasser les deux caractéristiques d’une société basée sur la croissance économique.

L’émergence de ce modèle se traduit par une transition énergétique et une multiplication de solutions communautaires et de replis régionaux dans une société de « transition ». Ces solutions  se traduisent par des initiatives « éparpillées » et « dépourvues de lien »  apportant des éléments de réponses « émiettés » aux problématiques d’une société industrielle sans croissance.

La fragmentation de ces initiatives n’est cependant pas incompatible avec la centralisation du modèle nationale basé sur l’accumulation de richesse. Cette observation est  soutenue par Michel Aglietta (2014)  – dans son analyse des monnaies complémentaires – qui souligne la nécessité d’une complémentarité des modèles de richesse entre :

– Une centralisation à travers un système monétaire et financier national ou régional permettant d’accumuler la richesse et de faciliter la circulation de la liquidité ;

– Un fractionnement du cadre central en systèmes monétaires locaux – ne permettant pas l’accumulation de richesse – qui répondent localement aux externalités et aux difficultés de la centralisation.

Ainsi, selon cette analyse, l’objectif de croissance économique ne doit pas être abandonné pour de nouveaux objectifs. La croissance économique – l’accumulation de richesse – doit être au centre de la réflexion comme un indicateur quantitatif pour préserver la stabilité du modèle. Une fragmentation de la conception de richesse en de nouveaux objectifs complémentaires – quantitatif et qualitatif – peut s’effectuer pour permettre de répondre aux externalités négatives et différentes limites de la croissance économique.

De nouveaux objectifs sont nécessaires pour déterminer les objectifs d’une société postindustrielle « sans croissance ». Le problème qui se pose peut être abordé par la recherche de nouveaux indicateurs de richesse.

II. De nouveaux indicateurs de richesse pour une société post-croissance

a. Les indicateurs du développement durable

La recherche de nouveaux indicateurs de richesse a été portée par la notion de développement durable. Ces recherches sur de nouveaux indicateurs ont été menées, selon Candice Stevens (2006) https://www.oecd.org/fr/std/36328924.pdf, pour« structurer les travaux sur [ces] indicateurs et les statistiques sous-jacentes ».

Cet auteur montre que la croissance économique est une des principales dimensions du développement durable. Cependant, le concept de développement durable englobe différentes dimensions du bien-être – économique, environnemental et social – interdépendantes entre elles.

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Figure 17 Les principales dimensions du développement durable (OCDE )

 

Il existe différentes définitions du développement durable. Selon le rapport Brundtland , de concept regroupe les notions d’efficacité, de contribution et d’égalité, d’adaptabilité, de valeurs et ressources pour les générations futures. Cette définition est la plus communément partagée à l’échelle internationale.

D’autres pays, comme le Canada et la Norvège, utilisent la définition du développement durable basée sur le capital. Ces pays regroupent autour de la notion du développement durable la mesure d’écosystèmes et de ressources. Cette divergence de définition conduit à la problématique de comprendre et comparer les indices de développement durable entre les pays.

b. Les indicateurs du bien-être économique

Le principal indicateur du bien-être économique développé est l’Indice de développement humain (IDH). Cet indicateur a été développé par le Programme de Développement des Nations Unis (PNUD) pour répondre aux critiques du PIB quant à sa capacité à mesurer le développement humain en dehors du seul critère de richesse.

Comme rappelé par Cédric Afsa-Essafi (2008) , l’IDH est un indice synthétique regroupant trois dimensions qui sont le bien-être matériel – via le PIB par habitant en PPA –, la santé – via l’espérance de vie à la naissance – et l’éducation – via le taux de scolarisation et le taux d’alphabétisation des adultes. Cet indicateur a été récemment ajusté aux inégalités à travers l’IDHI.

D’autres indicateurs ont été développés par le PNUD comme notamment :

– L’indice de pauvreté multidimensionnelle http://hdr.undp.org/fr/content/indice-de-la-pauvret%C3%A9-multidimensionnelle-ipm (IPM) – cherchant à mesurer la pauvreté globale liée à la création de richesse ;

– L’indice de développement de genre http://hdr.undp.org/fr/content/indice-de-d%C3%A9veloppement-de-genre-idg (IDG) – cherchant à mesurer les inégalités de genre;

Ces indices se construisent sur la base du PIB afin de le compléter. Le PNUD a développé ces indices pour rediriger les objectifs étatiques – d’accumulation de richesses – vers les « Objectifs de développement » – anciennement « Objectifs du Millénaire pour le Développement » . Ces indicateurs étendent majoritairement la santé économique à la dimension sociale.

Suite à une commande de l’Elysée en 2009, l’étude du PIB et de nouveaux indicateurs de richesse a conduit la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi  à remettre en question la capacité de l’indicateur de la performance économique – le PIB – de mesurer correctement le bien-être économique.

Joseph E. Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi (2009) soulignent que la notion de bien-être est pluridimensionnelle et nécessite d’étendre les indicateurs de mesure de la performance économique à ces autres dimensions. Ces auteurs répertorient notamment comme dimensions : les conditions de vie matérielles, la santé, l’éducation, l’environnement et les liens et rapports sociaux.

La Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi a également mis en avant la nécessité de s’interroger sur la comptabilisation de la production, la mesure de la qualité de vie et de la soutenabilité de la croissance. Selon cette commission, le PIB tend à limiter le développement de nouveaux indicateurs et doit être remplacé.

c. Les indicateurs de la croissance verte

La prise en compte de la dimension environnementale dans la recherche de nouveaux indicateurs de richesse a conduit au développement de l’indicateur de « croissance verte ».

L’objectif de cet instrument est de concilier :

– L’élargissement des possibilités économiques « pour tous, dans un contexte de population mondiale en expansion » ;

– La mise en avant des « pressions environnementales qui, en cas d’inaction, pourraient saper notre capacité à tirer parti de ces possibilités ».

La croissance verte se définit – d’après l’OCDE– comme la « promotion de la « croissance économique et  du développement tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et services environnementaux dont dépend notre bien-être ».

L’approche de la croissance verte est une extension « pratique et flexible » à la notion de développement durable. Le développement de cet indicateur permet d’ajouter la dimension environnementale à la réflexion sur le développement de nouveaux objectifs et aux stratégies sous-jacentes.

Cependant, comme souligné par le Conseil économique pour le Développement durable (2013), la notion de « croissance verte » a tendance à passer au second plan, derrière les indicateurs intégrant la dimension sociale.

Les indicateurs des externalités de la croissance

Le Conseil économique pour le Développement durable (2013)  rapporte qu’il faut développer des indicateurs « transversaux » afin de traiter les questions de « coût de la non-action » ou des « externalités de la croissance » comme définie à travers le P.I.B. De nombreux indicateurs ont été développés pour permettre de les évaluer.

La mise en avant de nouveaux objectifs doit s’inscrire dans une stratégie globale, permettant de répondre à chaque aspect du développement. Le développement d’un indicateur synthétique et global remplaçant – et intégrant – le PIB permettrait d’orienter cette stratégie globale à l’international.

Pepita Ould Ahmed et Jean-François Ponsot (2015) soulignent que, face à l’instabilité monétaire et financière internationale, il est nécessaire de « mettre en évidence » les externalités du système de richesses – à travers l’étude du système monétaire et financier. Ces auteurs synthétisent ces externalités par une approche en 4 « I » :

– Instabilité inhérente à l’architecture monétaire

– Incertitudes générées par la suprématie du dollar

– Iniquité du régime monétaire – dans sa capacité à répartir la richesse

– Insuffisance de la demande globale

Selon les auteurs, les stratégies des pays ne doivent pas être élaborées de manière autonome. Cette analyse conduit à s’interroger sur la possibilité du développement d’un indicateur global des externalités de la croissance qui permettrait d’apporter des réponses aux problématiques de l’architecture monétaire et financière mondiale, au centre de la répartition de la richesse à l’échelle internationale.

« À défaut d’une solution globale », Pepita Ould Ahmed et Jean-François Ponsot (2015) proposent qu’il soit essentiel d’apporter – au minimum – une solution régionale. De ce fait, il peut être intéressant de faire converger des indicateurs nationaux et des indicateurs régionaux pour inciter les pays à mettre en place des politiques coordonnées.

III. La vision des économistes

 

Patrick ARTUS (Cercle des économistes)

Interrogations. « Que se passerait-il si ce que nous vivons depuis sept ans et qui ressemble fort à une dépression persistante devait durer, non pas quelques mois ni même quelques années, mais quelques décennies ? », s’interroge Patrick ARTUS dans le livre coécrit avec la journaliste Marie-Paule VIRARD : Croissance zéro, comment éviter le chaos (Fayard). Et l’économiste de poursuivre : « Qu’adviendrait-il si les revenus, le niveau de vie, de la plupart d’entre nous entraient dans une période glaciaire ? L’hypothèse paraît saugrenue, mais elle est sérieusement débattue un peu partout dans le monde, et d’abord aux Etats-Unis, qui n’ont pourtant cessé, depuis la fin du XIXème siècle, de repousser les limites de la création de richesses pour devenir, après l’Angleterre, le moteur de la croissance mondiale ». Patrick ARTUS souligne que la question « agite bel et bien les plus beaux esprits de l’intelligentsia américaine », à commencer par Robert Gordion, professeur à l’université Northwestern, spécialiste de la croissance et de la productivité.

La croissance n’est pas là pour toujours. Pour bien faire comprendre le propos, Patrick ARTUS se livre a un rappel historique factuel. « Pendant la plus grande partie de l’histoire de l’humanité, la production par tête n’a quasiment pas bronché. La seule croissance économique enregistrée était liée à l’augmentation de la population. Ce n’est qu’au milieu du XVIIIème siècle qu’elle s’est mise à accélérer dans les économies les plus productives de l’époque – le Royaume-Uni jusqu’aux environ de 1900, les Etats-Unis ensuite –, pour atteindre un pic au cours des vingt-cinq années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale ». La suite est moins heureuse. « La production par tête ralentit de nouveau, en dépit d’un bref coup d’accélérateur entre 1996 et 2004. En 2012, la production horaire américaine était inférieure d’un tiers à ce qu’elle aurait été si la tendance observée entre 1945 et 1972 s’était maintenue », précise l’économiste. Le débat est bien là : rien n’exclut la décélération de la productivité au cours du siècle prochain, « jusqu’à atteindre des niveaux quasi négligeables ».

Une croissance quasi nulle en zone euro pour les dix ans qui viennent. Patrick ARTUS le reconnaît : « En Europe aussi, le débat sur la ‘’stagnation de longue durée’’ mérite toute notre attention, car le continent est affaibli comme jamais par une croissance potentielle anémique (…) et menacée par l’arrêt cardiaque». L’économiste explique cette situation par la baisse tendancielle de la population en âge de travailler et de celle de la productivité par tête. « Pour la décennie à venir, la croissance potentielle ne devrait pas excéder +0.3% par an en zone euro, avec une moyenne de +0.5% pour la France est moins encore pour l’Italie (+0.1%) comme pour l’Allemagne (0%) ». Selon Patrick ARTUS, nous sommes « loin de ces 2% annuels qui, il n’y a pas si longtemps, étaient considérés comme le rythme de croisière des grandes économies occidentales ». A long terme, la création de richesses dépend en effet étroitement de la croissance de la population active et du progrès technique.

« Croissance  zéro, comment éviter le chaos »,  avec Marie-Paule VIRARD (Fayard).

 

Philippe AGHION (Cercle des économistes)

Stagnation assurée ? « Une société qui se condamne à vivre sans croissance est une société qui se condamne à stagner ! C’est à dire à ne pas améliorer la qualité de vie de ses citoyens et qui se condamne à ne pas remplacer les idées existantes ». Philippe AGHION ne peut être plus clair. « Une société sans croissance est une société qui a décidé de s’arrêter. Et pour arrêter l’intelligence humaine, il faut une répression. Généralement les sociétés qui n’avancent pas sont des sociétés répressives. Ces sociétés sont volontairement répressives ou rongées par un degré de corruption tel que cela décourage l’inventivité. Ce sont des sociétés forcément décadentes et autoritaires ». La conclusion s’impose : « Oui, la croissance est nécessaire, c’est comme le sang qui circule dans nos vaines ».

Diversité des sources de croissance. L’accumulation de capital n’est pas la seule source de croissance. Selon Philippe AGHION, « l’innovation est la principale de ces sources, notamment dans les économies développées, car nous avons épuisé les ressources de l’accumulation du capital ». Mais l’innovation est très large. Ce ne sont pas uniquement les nouveaux produits et nouveaux processus de production. « Les nouvelles technologies, les nouveaux modes d’organisation, c ‘est la manière de combiner les produits et les services. C’est aussi tout ce que l’on invente en matière de façon de faire, nouvelles manières d’organiser le travail, d’économiser l’énergie, de vivre plus intelligemment ». Les pays développés n’ont pas d’autre choix que d’être des nations innovantes.

Le P.I.B. par tête ne suffit pas. Innovation, nouveaux services, nouveaux produits… mais « il faut aussi considérer des indicateurs d’environnement ou d’inégalité, des indicateurs de bonheur ». Pour le Professeur au collège de France, « le développement ne se calcule pas uniquement par le P.I.B. par tête. Il se mesure aussi par d’autres indices. Il est important de maîtriser les inégalités, d’assurer une croissance durable, d’autres indicateurs qui vont de pair avec le produit intérieur brut ».

 

ferrandDenis FERRAND (COE-Rexecode)

Vieux continent, nouvelle croissance. « L’Europe est en phase de reprise, il me paraît donc difficile de diagnostiquer un échec de la stratégie menée en Europe depuis la crise de 2007 ». Denis FERRAND revient sur la tribune publiée il y a quelques mois par un collectif appelant au changement de politique économique. « De fait, poursuit le directeur général de l’institut de conjoncture COE-Rexecode, la zone euro sera la seule région du monde, ou presque, à voir sa croissance accélérer cette année, alors que les États-Unis ralentissent et que les pays émergents traversent de grosses difficultés ». L’Europe du Sud, Grèce exceptée, est à la pointe de cette tendance. « L’Espagne a créé 500 000 emplois l’an dernier et l’activité a crû de 3,5% ».

En France au contraire, le retour de la croissance a été entravé par une austérité absurde, consistant exclusivement en un choc fiscal monstrueux – des hausses d’impôts contre-productives –, plutôt que de réfléchir à la manière de réduire nos dépenses publiques. Or aujourd’hui, nous sommes le pays qui a le plus de mal à redémarrer en zone euro », poursuit Denis FERRAND invoquant le rythme de l’activité, les créations d’emplois, etc…

Maintenir cette ligne. Dans une tribune publiée par le quotidien La Croix le 18 février 2016, l’économiste estime que faire marche-arrière serait une erreur, « d’abord, parce que les chefs d’entreprise ont avant tout besoin de visibilité. Cela passe par un environnement juridique, fiscal et réglementaire stable. Ensuite, parce que le pays a besoin d’une politique de l’offre, afin d’améliorer la compétitivité des entreprises, et in fine la création d’emplois. Cette stratégie met du temps à porter des fruits, donnons-lui du temps ». La visibilité participe aussi à rétablir la confiance, condition nécessaire pour encourager les chefs d’entreprise à investir. « En France, ces derniers mettent aussi en avant l’absence de réformes structurelles, en particulier sur le marché du travail, pour expliquer leur frilosité à investir », insiste Denis FERRAND.

Dénoncer l’austérité budgétaire n’est plus d’actualité. Selon le dirigeant de COE-Rexecode, cette austérité est devenue nulle à l’échelle de la zone euro, contrairement à la période 2011-2013. « De même, poursuit le conjoncturiste, les coûts salariaux qui avaient beaucoup baissé – après des années d’augmentation disproportionnée – se stabilisent dans les pays concernés. Et la menace de déflation est aussi en train de disparaître ». Cela n’exclut pas d’agir sur la demande, à condition de ne pas accroître les dépenses de fonctionnement d’un État. « Mais la priorité d’une politique économique doit être de développer une offre compétitive. Parce que nous ne vivons plus dans un monde abrité de la concurrence étrangère », conclut Denis FERRAND.

http://www.coe-rexecode.fr/public/Rencontres-et-debats/Coe-Rexecode-dans-les-medias/Denis-Ferrand-Le-redressement-de-la-competitivite-reste-prioritaire

 

weilThierry WEIL (Fabrique de l’industrie)

Croissance : savoir raison garder. « Vous et moi pouvons vivre sans croissance, on changera un peu moins souvent de smartphones, on mangera un peu moins de viande, probablement pour notre bien, d’ailleurs. Mais de nombreuses personnes n’ont pas encore accès aux moyens d’une vie décente dans plusieurs domaines comme le logement, l’alimentation, l’éducation ou la santé », constate Thierry WEIL. Le problème est que certaines ressources sont épuisables comme, par exemple, la capacité de l’atmosphère à absorber nos émissions de gaz à effet de serre. « Il nous faut donc découpler la croissance économique et celle de notre consommation de ces ressources rares et des émissions de polluants », ajoute-t-il. Et l’économiste de souligner que « nous sommes en bonne voie puisque l’année dernière nos émissions sont restées stables malgré une croissance mondiale de plus de 3%. Mais il faut aller encore plus loin et augmenter d’au moins 6% notre efficacité énergétique pour ne pas asphyxier la croissance sans asphyxier la planète, et éviter ainsi un réchauffement de plus de 2° ».

Innovation planche de salut ? L’innovation contribue à une croissance sobre et moins polluante. Thierry Weil en est convaincu : « Grâce à l’innovation, par exemple, l’énergie solaire est devenue peu coûteuse, ce qui permet d’utiliser moins d’énergies fossiles. Mais l’innovation technique ne suffit pas. Il faut aussi innover dans nos comportements et nos modèles économiques : prendre les transports en commun ou recourir au covoiturage plutôt que de voyager seul dans sa voiture ; recycler efficacement ». Selon l’économiste, « à terme, la transition démographique, qui a commencé dans la plupart des pays, rendra plus facile le découplage entre l’amélioration du niveau de vie individuel et la pression globale sur des ressources limitées ». D’ici là, il convient  d’innover et adapter nos comportements.

Quels nouveaux indicateurs pour calculer la dynamique économique ? Deux indicateurs semblent pertinents aux yeux de Thierry WEIL : « le taux de personnes ayant accès à un mode de vie décent, et l’égalité des chances. La France est un pays avancé sur le premier critère, même s’il reste des progrès à faire. En revanche, nos résultats sont parmi les pires au sein des pays développés sur le second : chez nous, un enfant de chômeurs à deux fois moins de chances d’accéder à l’enseignement supérieur qu’un enfant d’enseignants ». Sans commentaire.

 

harribeyJean-Marie HARRIBEY (ATTAC)

Situation post crise. « Depuis 2007, le capitalisme a plongé le monde dans une crise sans précédent par son étendue, sa globalité et sa multi dimensionnalité : économique, financière, sociale et écologique, chacune de ces dimensions renforçant les autres », analyse Jean-Marc HARRIBEY. « Les structures socio-économiques se fissurent parce qu’ont prévalu le renforcement des privilèges d’une classe dominante et le délitement de toutes les protections sociales. Alors, les cadres de pensée à l’intérieur desquels se déployaient les justifications d’un ordre supposé apporter à l’humanité le bien-être, la démocratie et la paix s’épuisent et apparaissent pour ce qu’ils étaient : idéologie et non pas science, intérêt de classe bien compris et non pas intérêt général », poursuit l’économiste dans une tribune publiée par le magazine Alternatives économiques (Cf. références ci-dessous).

Monde plus soutenable. Dans ce contexte, les recherches pour construire un autre cadre théorique et politique donnant à voir un monde plus soutenable se multiplient. Jean-Marc HARRIBEY cite pour référence ‘’Prospérité sans croissance, transition vers une économie durable’’, le livre de l’économiste britannique Tim Jackson paru en 2011. Selon le co-fondateur d’ATTAC, cet ouvrage « est une bonne synthèse de la critique de la croissance économique et tente de définir une conception de la prospérité alternative à celle qui associe le mieux au plus. En particulier, il essaie de jeter les bases d’une macroéconomie écologique ».

La croissance économique infinie est impossible. Dans la droite ligne de Tim JACKSON, Jean-Marc HARRIBEY insiste sur le fait que « l’idée est maintenant connue : la croissance de la production se heurte aux limites écologiques et il n’est pas possible de la perpétuer dans une planète finie. De plus, s’ajoutent toutes les aberrations du système économique mondial actuel : financiarisation, endettement, spéculation, notamment sur les matières premières, réchauffement climatique, etc. Une déconnexion se produit entre l’augmentation de la production mesurée par le produit intérieur brut et des indices de satisfaction : la corrélation diminue, voire disparaît, au-delà d’un certain niveau de revenu autour de 15 000 dollars par habitant et par an ». « Ce constat ne constitue pas en soi une preuve lorsque l’une des variables est méthodologiquement bornée (par exemple l’espérance de vie ou le taux de scolarisation), mais il alerte sur la nécessité de définir le bien-être par autre chose que la seule abondance matérielle », conclut l’économiste.

http://alternatives-economiques.fr/blogs/harribey/2011/02/22/un-capitalisme-sans-croissance-economique-est-il-possible/

 

Notre duo éco : Philippe Aghion et Thierry Weil :

Conclusion

Nos économies sont-elles entrées dans un monde ou un cycle sans croissance ? Les chiffres et différentes analyses exposés dans ce Décryptage économique tendent à le prouver. Objectivement, c’est le cas depuis maintenant environ trois décennies. Mais faut-il conclure à un mouvement pérenne ? D’autres analyses exposées ici prouvent le contraire.

Des premiers pas de l’industrialisation à l’épuisement des ressources naturelles, de la machine à vapeur à l’ubérisation de pans entiers de nos économies, faut-il parler du pire ou du meilleur ? Pourquoi pas des deux à la fois ?

Nombreuses sont les pistes pour envisager la renaissance économique de nos sociétés. Une renaissance basée non pas sur une décroissance mais sur une croissance partagée, sociale, vertueuse, respectueuse, environnementale… L’analyse économique et l’aspiration humaine laissent ouverts tous les champs du possible. Mais il faut s’en convaincre : le monde est assurément entré dans une phase de résilience.

 

Bibliographie

Afsa-Essafi C. (2008), « Mesurer le bien-être et son évolution en France. Une approche empirique sur données individuelles », Séance n°1 : Au-delà du PIB, à la recherche d’indicateurs synthétiques : la prise en compte du bien-être, 12eme colloque de l’Association de comptabilité nationale, Paris, 4-6 juin 2008.

Aglietta M, P. Ould Ahmed et J-F Ponsot (2014), « La monnaie, la valeur et la règle », Revue de la régulation, n°16, 2e semestre, automne 2014.

Ahmed P. O et J-F. Ponsot (2015), « Contestations monétaires : une économie politique de la monnaie », Revue de la régulation, n°18, 2e semestre, automne 2015.

Candice S. (2006), « Mesurer le développement durable », Cahiers statistiques : OCDE, n°10, mars 2006.

CEDD (2013), « La croissance verte : principes et instruments de politique économique », Conseil économique pour le développement durable.

Elgahry B. I. (2014), « La synchronisation des cycles économiques entre pays avancés et pays émergents : couplage ou découplage ? », Economies et finances, Université du Havre, 2014.

FMI (2016), « Perspectives de l’économie mondiale : Une croissance trop faible depuis trop longtemps », Etudes économiques et financières, avril 2016.

OCDE (2016), « Perspectives économiques intermédiaires globales », Présentation de l’OCDE, Février 2016.

Piveteau A. et E. Rougier (2010), « Emergence, l’économie du développement interpellée », Revue de la régulation, n°7, Printemps 2010.

Rolo D. (2009), « D. Cohen. Trois leçons sur la société post-industrielle », L’orientation scolaire et professionnelle, n°38/4, 2009, p.576-579.

Roubini N. (2016), « La nueva anormalidad de la economia mundial », Economia Global, World Economic Forum.

Stiglitz J. E., A. Sen et J-P. Fitoussi (2009), « Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social ».

Viveret P. (2002), « Reconsidérer la richesse : Mission ‘Nouveaux facteurs de richesse’ », Rapport Cour des Comptes, La Documentation Française, Janvier 2002.

 

Bibliographie

http://www.boursorama.com/actualites/la-croissance-n-a-que-legerement-rebondi-au-troisieme-trimestre-0bcf827259d39f0aa9494e4f6cf5a314#xtor=CS1-3-[Facebook

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