" Osons un débat éclairé "

Les dossiers chauds de la rentrée économique

Après un été parsemé de vagues de chaleur, l’Europe se prépare à un hiver froid et à un rationnement de gaz. Patrick Artus revient sur les trois principaux dossiers économiques de la rentrée, conséquences de la flambée des prix de l’énergie et de notre dépendance au gaz russe.

Il semble raisonnable d’entretenir un réel pessimisme quant aux perspectives économiques, en Europe, en France pour la fin de 2022 et 2023. Le point de départ du pessimisme est la perspective, largement partagée, que la guerre en Ukraine sera durable, que, en conséquence, les sanctions occidentales sur la Russie et les rétorsions de la Russie contre les pays européens ont vocation à se prolonger et à s’intensifier.

Le gaz russe, pas de sevrage avant 2027

L’Europe s’attend à un arrêt complet des exportations de gaz naturel russe vers l’Union Européenne, et cette attente, dans ce contexte de sanctions et de rétorsions, est raisonnable. En 2021, 45% des importations de gaz naturel de l’UE provenaient de la Russie, soit 155 milliards de mètres cubes ; cette proportion n’était que de 17% pour la France. Les simulations faites par la Commission Européenne, avec des importations de gaz naturel depuis d’autres pays que la Russie, avec l’imputation aux importations de gaz russe d’une partie importante du recul de l’utilisation d’énergies fossiles, avec des économies de consommation de gaz, montrent que ce n’est pas avant 2027 que l’Union Européenne pourrait ne plus dépendre du gaz russe.

Si, d’ici-là, les importations de gaz russe s’arrêtent , il y aura à la fois un prix très élevé de l’énergie et un recul des productions utilisant le gaz naturel (chimie et pharmacie, agroalimentaire, sidérurgie, industries lourdes, industrie papetière) ; davantage en Allemagne que dans les autres pays européens, mais une récession en Allemagne entraînera à la baisse la croissance des autres pays, dont la France.

Le premier dossier sera donc celui de l’arrêt d’une partie de la production de ces industries, du recul induit du PIB et de l’emploi.

Les coûts de l’énergie ralentissent l’activité et poussent l’inflation

Le deuxième dossier sera celui de l’inflation : le recul de l’activité induit par l’insuffisance de ressources en énergie sera un recul d’activité inflationniste, puisque associé à un prix très élevé de l’énergie. Contrairement à ce qu’attendent les marchés financiers, la récession n’entraînera pas un recul de l’inflation. Au contraire elle conduira à une inflation durablement élevée. Même si les prix des autres matières premières (métaux, matières premières agricoles), du transport maritime, des semi-conducteurs… reculent avec le freinage de l’activité mondiale, l’inflation globale en Europe restera très élevée en 2023, à peine inférieure à celle de 2022 (autour de 7% en moyenne annuelle).

La prévision de recul de l’inflation à 3,5% en 2023 et 2,16% en 2024 faite par la Banque Centrale Européenne est incroyablement optimiste. Elle suppose le recul des prix de l’énergie et une grande modération salariale. Celle-ci est douteuse : les hausses des salaires sur un an atteignent à la fin de juin 2022 4,5% pour la zone euro, 3,5% en France, et elles ont tendance à accélérer. L’exemple du Royaume-Uni montre la fragilité de la situation sociale quand le pouvoir d’achat recule fortement. Et de plus, il n’y a pas de gain de productivité dans la zone euro (ils sont négatifs en France) : la totalité des hausses de salaires passe dans le coût salarial unitaire puis dans les prix.

Il y a alors deux problèmes : d’un côté, le caractère déraisonnable des prévisions des marchés financiers pour les taux d’intérêt de la BCE. Les marchés attendent aujourd’hui un pic des taux d’intérêt voisin de 2%, ce qui n’a pas de sens si la BCE veut réellement ramener l’inflation à 2% en 2024. Un taux d’intérêt nettement plus élevé sera nécessaire pour casser la dynamique inflationniste.

D’un autre côté, si les salaires continuent à n’augmenter que comme la moitié environ de l’inflation, pour éviter une crise sociale comme au Royaume-Uni, les États européens devront continuer, comme en 2022, à soutenir le pouvoir d’achat des ménages et la consommation par des transferts publics d’où des déficits élevés.

Les finances publiques limitent les marges de manœuvre

Mais c’est ici qu’apparaît le troisième dossier : celui des finances publiques. Concentrons-nous sur le cas de la France. En 2022, le gouvernement annonce 5% du PIB de déficit public. Mais il faut comprendre que cela est dû au décalage entre la hausse des recettes fiscales (TVA, impôts sur les profits des entreprises) due à l’inflation et l’inertie des dépenses publiques (masse salariale des fonctionnaires, retraites, autres prestations sociales) qui n’ont suivi que tard (juillet à septembre 2022) et partiellement l’inflation (hausse de 3,5% ou 4%).

Sans ce décalage, le déficit public aurait été de 6,5% du PIB environ. En 2023, ce décalage va s’inverser (inflation plus faible, rattrapage des hausses de salaires et de prestations sociales), et de plus les taux d’intérêt vont augmenter plus que prévu aujourd’hui (le taux d’intérêt à 10 ans de la France est toujours inférieur à 2%), et les besoins de dépenses publiques (accélération de la transition énergétique pour se passer plus vite du gaz russe…) seront en hausse. Il ne sera pas possible de conserver les dépenses de soutien du pouvoir d’achat mises en place en 2022, avec les autres besoins, la hausse du déficit public due à l’inflation, la hausse des taux d’intérêt.

Le débat sur le moyen de cibler davantage les aides publiques aux ménages, qui compensent aujourd’hui la hausse des prix de l’énergie pour l’ensemble des ménages, sera dont très important.

On voit donc les dossiers « pénibles » de la rentrée et de l’année prochaine en Europe et en France : la rareté et le coût de l’énergie, l’inflation et le maintien cependant du pouvoir d’achat ; l’impossibilité de le faire globalement, pour l’ensemble des ménages, en raison de la situation des finances publiques.

 


 

Patrick Artus, membre du Cercle des économistes, Conseiller économique de Natixis

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