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Les risques de crises systémiques dans l’après-Covid

Les fragilités économiques nées de la pandémie peuvent-elles provoquer des ondes de choc, entraîner des réactions en chaîne ? André Cartapanis revient sur les mécanismes des crises systémiques et explique la manière dont il est possible de les prévenir

Certaines notions « s’amortissent dans un usage de routine « (J. Lacan). Mais le recours récurrent à la notion de crise, en matière économique, loin de s’amortir, révèle plutôt une réalité permanente. Et ces crises se diffusent désormais à l’échelle internationale, on l’a vu avec les deux premières crises systémiques du XXIème siècle, la Grande crise financière de 2008-09 et la crise du Covid de 2020-21. Il faut donc se préparer aux prochaines crises systémiques.

Les crises économiques combinent toujours deux ordres de facteurs. D’abord, des fragilités ou des risques latents qui hypothèquent la pérennité ou la soutenabilité des équilibres de marchés, des situations macroéconomiques ou sectorielles, et qui suscitent des tensions, un temps maitrisées mais sujettes à l’épuisement des capacités de résilience, à des chocs endogènes. Ensuite, l’apparition de chocs exogènes, c’est-à-dire des évènements ou des phénomènes qui rendent insoutenables les situations préalables (sur le marché des changes, au sein d’un système financier, dans l’équilibre entre offre et demande globale au plan macroéconomique, sur les marchés pétroliers…) ou qui influent sur les perceptions de l’avenir et les anticipations des agents économiques, provoquant des revirements dans l’investissement, suscitant des ajustements des portefeuilles d’actifs ou une inflexion des choix de politique monétaire du côté des banques centrales.

Les chocs exogènes sont souvent des chocs locaux qui contaminent les risques globaux, jusqu’alors latents. La globalisation amplifie l’effet de ces chocs à cause de l’intensité des mobilités et des interdépendances internationales : imbrication des systèmes financiers, migrations incessantes des hommes et des femmes, intégration des chaînes de production à l’échelle internationale, dépendance vis-à-vis du commerce international et ruptures d’approvisionnements. En un mot, des risques latents se transforment en crises systémiques.

Pour tenter de prévenir les crises systémiques, il importe alors de se demander quels sont les risques globaux qui pèsent sur le monde de l’après-Covid, et donc quels sont les facteurs fondamentaux, les tendances lourdes, les principales sources de tensions susceptibles de se transformer en crises de vaste ampleur face à des chocs, par nature imprévisibles, mettant en cause la soutenabilité de la reprise ou provoquant de graves déséquilibres macroéconomiques au plan mondial ? Telle est l’ambition d’une révision toute récente opérée par le Fonds Monétaire International (FMI) dans la fonction de surveillance macroéconomique et financière qui lui est dévolue, soit à l’échelle de chaque pays-membre (avec les rapports annuels imposés par l’article 4 de ses statuts), soit à l’échelle globale (avec les World Economic Outlooks semestriels ou les External Sector Reports annuels).

Dans une série de rapports publiés en mai 2021, tout récemment approuvés par le Board du FMI, l’institution de Washington tire les enseignements du passé récent et justifie une surveillance profondément renouvelée de l’économie mondiale et des pays-membres en fonctions des risques et des profondes incertitudes pesant sur la soutenabilité des situations macroéconomiques et financières face au nouveau paysage de l’économie mondiale. Plus que d’évaluer les déséquilibres monétaires ou financiers, il s’agit d’intégrer les risques globaux et les profondes incertitudes qui hypothèquent une croissance économique tout à la fois élevée, soutenable et inclusive. Cela recouvre ainsi les menaces suscitées par les technologies digitales, les impératifs du changement climatique, les risques du ralentissement des gains de productivité, la montée des inégalités de revenus et de patrimoines, le poids du vieillissement des populations, mais aussi les tensions géopolitiques. Et s’y ajoutent évidemment la nécessité d’anticiper et de réduire tous les mécanismes de contagion (spillovers) adossés à l’intégration internationale, tant à l’échelle des chaînes de production et du commerce international qu’à celle de la finance globale.

Si les déséquilibres monétaires et financiers, les tensions macroéconomiques, les situations de surendettement et les surréactions sur les marchés d’actifs sont à la source immédiate des crises en présence de chocs, elles sont perçues comme des sous-produits de ces risques globaux, de ces tendances lourdes, auxquelles n’échappe pratiquement aucune économie nationale et qui, tout à la fois, réduisent les marges de manœuvre des policymakers, fragmentent les sociétés et la cohésion sociale et hypothèquent la croissance économique. Si ces tendances lourdes ne sont pas inversées dans l’après-Covid, leur macro-criticality, selon les termes du FMI, ne pourra qu’engendrer de nouvelles crises systémiques, à l’échelle globale et à celle des sociétés.

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