" Osons un débat éclairé "

L’Europe du soleil levant

Agnès Bénassy-Quéré

Agnès Bénassy-Quéré

En matière d’information, il faut lutter contre un biais naturel qui est de commenter ce qui s’est passé en négligeant ce qui ne s’est pas passé. Eh bien aujourd’hui je vais contribuer à corriger ce biais en vous parlant de ce qui ne s’est pas décidé lors du 3281ème conseil Ecofin qui s’est tenu à Bruxelles dans la nuit de mardi à mercredi (allez savoir pourquoi, les conseils ont toujours lieu la nuit – peut-être justement parce que la nuit porte conseil). Et pour ceux d’entre vous qui auraient raté les 3280 épisodes précédents, sachez que le conseil Ecofin réunit chaque mois les ministres des Finances des pays membres, sous la présidence du ministre du pays assurant la présidence tournante de l’Union Européenne, en l’occurrence Rimantas Šadžius, en charge des Finances de la Lituanie.

Dans la nuit de mardi à mercredi donc, il n’y a pas eu d’accord sur la question délicate et désormais urgente des restructurations bancaires. Or la Banque centrale européenne va dès l’an prochain prendre en charge la surveillance des grandes banques européennes. Pour commencer, elle va les soumettre à des tests de résistance afin de voir si elles sont capables de faire face à une nouvelle récession, une chute de l’immobilier ou bien à la défaillance d’un Etat. Elle désignera alors les banques qui doivent être renflouées, restructurées, voire fermées. Mais comment financer ces restructurations ? Les actionnaires seront mis à contribution, puis, par ordre croissant de séniorité, les différents créanciers. Pour les cas difficiles, un fonds de restructuration sera créé, alimenté par des cotisations des banques elles-mêmes. Problème : il faudra plusieurs années avant que le fonds soit opérationnel. D’ici là, comment fait-on ? Deux positions s’affrontent.

La position allemande est qu’il n’est pas question de demander au contribuable allemand d’éponger les erreurs passées de la surveillance bancaire dans tel ou tel pays. Le Mécanisme de stabilité européen – sorte de Fonds monétaire de la zone euro – pourra éventuellement prêter aux Etats en vue d’une restructuration bancaire, comme il le fait déjà en Espagne, mais en aucun cas ce Fonds ne pourra intervenir directement dans le capital des banques.

Selon les Français, la priorité aujourd’hui, c’est de mettre fin à la spirale délétère entre risque bancaire et risque souverain, que l’on observe dans les pays en difficulté où les Etats alourdissent leur dette pour renflouer des banques qui, elles-mêmes, détiennent une grande part de la dette publique (je te tiens, tu me tiens par la barbichette). La seule manière d’arrêter cette spirale, c’est de dissocier la santé des banques de celles des Etats. Cela passe par un fonds de restructuration unique intervenant au nom des Européens.

Dans le projet de compromis que s’est procuré le Financial Times, le fonds de restructuration serait initialement compartimenté par pays de manière à éviter toute mutualisation à court terme, selon la vision allemande ; progressivement, il serait dé-compartimenté pour se rapprocher de la vision française au bout de dix ans. Hélas, à court terme, on ne voit pas bien comment des gouvernements déjà aux abois parviendront à absorber les coûts liés aux restructurations bancaires. Le risque est alors une procrastination générale sur la question bancaire, avec à la clé un scenario d’économie atone à la japonaise. Bis repetita placent.

Chronique diffusée sur France Culture le 12 décembre 2013

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