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L’indépendance de la Fed menacée

Donald Trump souligne les risques d’une liberté excessive de la banque centrale américaine. Le danger est celui d’une capture populiste des missions dévolues à la Fed.

La Fed est dans la tempête. Après les mises en cause à répétition de sa politique au cours de la campagne de Donald Trump, la lettre adressée à Janet Yellen par le sénateur républicain Patrick McHenry qualifie d’inacceptable la participation de la banque centrale américaine aux forums internationaux des superviseurs, dont le Comité de Bâle. Daniel Tarullo, l’un des gouverneurs de la Fed, plus particulièrement chargé de la régulation financière, vient d’annoncer sa démission.

Les griefs sont nombreux et souvent contradictoires : le maintien de taux artificiellement bas pour faire le jeu de l’administration Obama, une politique favorisant un dollar fort venant pénaliser les entreprises américaines, l’application d’une réglementation prudentielle dans le cadre de la loi Dodd-Frank, qui pèserait à l’excès sur les banques américaines et ne leur permettrait pas de répondre aux besoins de financement des entreprises ou des ménages… Tout cela met en cause l’indépendance de la Fed. Mais on ne saurait confondre la question, à certains égards pertinente, de la légitimité démocratique des politiques de la Fed avec le risque d’une capture populiste de ses missions.

Principe de séparation caduc

La Fed bénéficie d’un statut d’indépendance dans le cadre d’un mandat. Elle doit maintenir un taux d’inflation proche de 2 %, tout en promouvant une croissance soutenable et l’emploi maximum. Et pour cela, elle dispose souverainement de l’arme des taux d’intérêt à court terme. Son indépendance vise à la mettre à l’abri des pressions politiques à court terme de nature à produire un biais inflationniste à long terme.

Mais les objectifs de la politique de change ou de la politique de stabilité financière ne font pas partie de son mandat, et seul le Trésor américain est légitime pour impulser une politique en la matière. En même temps, les interventions liées à une politique de change ou à l’application des accords internationaux (swaps de réserves entre banques centrales, accords de Bâle III) ne peuvent être menées que par la Fed, mais sur instruction du Trésor. Il en est de même en matière de régulation financière internationale.

Toutefois, depuis la crise financière, le principe de séparation entre la stabilité monétaire et la stabilité financière est caduc, car le niveau des taux directeurs influe sur la prise de risque des banques et peut alimenter des bulles financières et accroître le risque systémique. Or, ce « new central banking » s’est opéré sans redéfinition du mandat de la Fed, ni de celui de la plupart des autres banques centrales d’ailleurs. Telle est la configuration institutionnelle dans laquelle se sont engouffrées les foucades populistes de Donald Trump et de ses conseillers, soulignant les risques d’une indépendance statutaire excessive de la Fed ou l’absence de légitimité démocratique d’une future remontée des taux par exemple.

Or, dans ce domaine comme dans bien d’autres, la « trumpeconomics » est une tartufferie qui privilégie des intérêts particuliers. La politique monétaire aurait-elle pour principale fonction de faire baisser le dollar afin d’améliorer les marges des exportateurs américains de la vieille industrie, quelles qu’en soient les conséquences sur l’inflation et le pouvoir d’achat des ménages ? La réglementation des banques devrait-elle être considérablement allégée, en revenant sur les principes de la loi Dodd-Frank, afin de réduire les exigences en capitaux propres et d’alléger le poids des ratios de levier ou de liquidité, en oubliant les responsa­bilités écrasantes du système bancaire américain dans le déclenchement de la crise systémique de 2008-2009 ?

La mise en cause de l’indépendance de la Fed ne porte pas sur la légitimité démocratique des politiques monétaires. Elle présente le risque d’une capture populiste des missions dévolues à la Fed, ce populisme qui n’est rien d’autre que la propension des peuples à faire des choix électoraux contraires, dans le long terme, à l’intérêt du plus grand nombre.

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