" Osons un débat éclairé "

L’investisseur est-il capable d’intégrer le risque social ?

8316f4e4f7e8c43267317a70a4afae17-627x367Dans la longue liste des risques auxquels les entreprises sont confrontées, le risque social figure en bonne place. Eliane Rouyer-Chevalier explique pourquoi l’impact sur les résultats et, plus encore, sur la capitalisation boursière des entreprises concernées, est très variable.

Il est bien loin le temps de Vilvoorde, ville belge jusque-là peu connue du grand public, où l’annonce de la fermeture de l’usine d’un grand constructeur automobile provoquant des licenciements massifs, faisait monter le cours de bourse de la société. Il leur fut même donné un nom : «  licenciements boursiers ».  Les esprits avaient été marqués par le cynisme des financiers se réjouissant de la perte d’emplois dans l’espoir de profits futurs plus élevés, conséquence de la réduction de coûts de main d’œuvre alors même que l’entreprise générait des profits.

Qu’en est-il aujourd’hui de la sensibilité des marchés financiers aux conflits sociaux ? Depuis 1997, les choses ont évolué. Les conflits sociaux font partie d’un ensemble de risques plus larges intégrant ceux de nature environnementale, sociétale ou de gouvernance de plus en plus placés sur les écrans radar des investisseurs institutionnels, actionnaires à plus de 80% des sociétés cotées en France.

Pour ces  professionnels de l’investissement,  le couple risque/rentabilité constitue la base même de la décision d’investir. Ils valorisent les entreprises dans lesquelles ils investissent à l’aune des performances financières, évidemment, mais  aussi et de plus en plus, au regard de leur comportement en termes de responsabilité sociale, environnementale et de gouvernance.

Toute faillite dans la gestion des relations sociales, tout comme le non-respect de la préservation de l’environnement et la non-conformité des règles de gouvernance, sont autant d’alertes attirant l’attention des investisseurs puisque ces risques sont susceptibles de détériorer les profits.

Les cas de franchissement de la ligne jaune sur ces thèmes sont légion : depuis la vague de suicides chez France Telecom, l’explosion de la  plate-forme Deepwater Horizon de BP causant un désastre humain et environnemental sans précédent, en passant par Volkswagen reconnaissant le non-respect des normes en matière de contrôle des émission de CO2.

Or, l’impact  sur la capitalisation boursière des entreprises fautives est variable. La valeur de Volkswagen  a fondu de plus de 40% depuis mi-septembre, celle de BP a perdu plus de 40 milliards de dollars. En revanche, quand les images du DRH d’Air France ont fait le tour des écrans cristallisant un conflit social majeur d’une entreprise française emblématique, le cours de bourse de celle-ci n’a pratiquement pas bougé.

Alors indifférence des investisseurs ? Ou tout simplement incapacité à analyser la causalité de ce type de risques et en apprécier le coût potentiel ? Les marchés financiers cherchent à anticiper en permanence les facteurs de risques de manière à donner une juste valorisation de l’entreprise. Mais les  risques sociaux, environnementaux ou de non-respect de gouvernance sont plus complexes et plus difficiles à quantifier que des risques financiers classiques. En particulier, les conséquences de la détérioration de la réputation de l’entreprise sur le chiffre d’affaires sont  difficiles à évaluer ainsi que les éventuelles pertes d’emplois corollaires des restructurations qui s’ensuivent.

La matrice de matérialité établie par certaines entreprises est un début de réponse, en permettant de  repérer  et de hiérarchiser les éléments et les enjeux capables de créer ou de détruire de la valeur d’une entreprise donnée. Mais le défaut d’analyse chez les investisseurs existe. Quitte à faire l’impasse et prendre la perte de valeur boursière quand le risque est avéré, comme dans le cas de VW !

Eliane Rouyer-Chevalier

Eliane Rouyer-Chevalier est vice-présidente de l’Observatoire de la Communication Financière et administratrice indépendante.

 

Les Thématiques