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L’Italie expérimente une présidence jupitérienne

L’Italie a basculé dimanche soir dans une nouvelle crise politique, Giuseppe Conte, choisi par le Mouvement 5 Etoiles (M5S, populiste) et la Ligue (extrême-droite), ayant renoncé à former leur gouvernement de coalition. Les craintes de voir Rome s’engouffrer dans une nouvelle crise, et avec elle la zone euro,  sont-elles bien réelles ? Patrice Geoffron explique pourquoi personne n’a encore cédé à la panique, même si l’alerte est sérieuse.

Guiseppe Conte s’était vu confier l’épineuse mission de former le gouvernement par le président de la République italienne, Sergio Mattarella. Le pari était que l’autorité de ce professore (au CV certes enjolivé…) suffirait pour conduire une coalition des contraires, et que la force de conviction de cet avvocato permettrait de retrouver des marges de manœuvre économiques à Bruxelles.

Nous savons maintenant que, même si la constitution italienne confère moins de pouvoir au président italien qu’à son homologue français, le premier aura été (réminiscence antique sans doute) non moins jupitérien que le second : en mettant son veto à la désignation d’un ministre de l’économie eurosceptique, Sergio Mattarella affirme avec force qu’il ne pouvait pas accepter « un choix qui aurait pu conduire à la sortie de l’Italie de l’euro et provoquer les inquiétudes des investisseurs ». Fondamentalement, le président italien a ainsi glissé un « coin » dans les incohérences du programme économique de la coalition.

Tant il est vrai que, si l’improbable alliance Lega-Cinque Stelle comporte des convergences, c’est avant tout sur la question migratoire et à l’égard de l’UE, avec une défiance commune. Dans le champ économique, étaient en revanche gravées un « contrat de gouvernement pour le changement » des mesures superposant les programmes des deux partenaires (l’un conçu pour le Nord, l’autre pour le Sud), à défaut d’un (improbable) compromis.

Parmi la trentaine d’engagements du « contrat » (plébiscité à 90% par les militants et soutenu à 60% par les Italiens), trouvait-on ainsi énoncés : un abaissement de l’âge de la retraite (accessible dès l’atteinte d’un « barème de 100 », en additionnant l’âge et le nombre d’années de cotisation), un revenu et une retraite de citoyenneté (garantissant une ressource mensuelle de 780 euros), une « flat tax » (réduisant le nombre de tranches à deux taux de 15% et 20%), ainsi qu’un gel de la clause de sauvegarde imposée par l’UE (impliquant l’augmentation du taux de TVA).

Avec ce plan évalué à 100 milliards d’euros était néanmoins visée une réduction de la dette publique (supérieure à 130% du PIB) via une relance de la demande interne, et annoncé un bras de fer avec l’engagement de « forcer la Commission européenne à séparer les investissements publics productifs du déficit courant » et de renégocier « les traités de l’UE et le cadre normatif ».

Les marchés accordent une attention inquiète à ces volte-face. Le spread avec le bund allemand s’est creusé pour dépasser 200 points de base, 70 de plus qu’en février (tendant vers l’écart d’avril 2017, avant la présidentielle française). Mais le calme a prévalu (jusqu’alors) en raison d’un scepticisme quant à la capacité à mettre en œuvre le programme, ce que confirment les événements en cours (et parce que l’Italie n’est pas la Grèce).

Reste, à l’agenda de Sergio Mattarella, à désigner un gouvernement technique, en charge des affaires courantes (parmi lesquelles le budget 2019…) jusqu’à des élections automnales. Carlo Cottarelli pourrait présider ce conseil, sans nul doute selon les orientations plus orthodoxes. Ce qu’annonce l’évocation du surnom de M. Forbici (« M. Ciseaux »), qu’il avait gagné au sein du gouvernement d’Enrico Letta. Mais, comme ses prédécesseurs, Carlo Cottarelli se souviendra qu’en exerçant ses nouvelles fonctions au Palais Chigi, il sera équidistant, à moins de 2 kilomètres, du Capitole et de la Roche Tarpéienne.

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