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Livre : cinq questions pour un Salon

Livre cinq questions pour un salonL’édition fait preuve d’une belle résistance à la crise. Le chiffre d’affaires du commerce de livres fléchit légèrement, mais ne ploie pas, et son recul est inférieur à celui de l’ensemble du commerce de détail. Des librairies continuent de disparaître, mais, dans l’ensemble, les indépendants résistent, forts de la demande de conseil et de relation directe que le caractère désincarné de la relation numérique rend plus que jamais nécessaire.

Si le Salon du livre qui ouvre ses portes cette semaine affiche une certaine désunion (les maisons littéraires d’Hachette n’y participent pas), la profession a su se mobiliser à plusieurs reprises. Cinq questions traversent la vie économique du livre. La première concerne les nouveaux modèles économiques du livre numérique, dont le marché, encore étroit en France (4 % du CA de l’édition), est au coeur des préoccupations. Les éditeurs ont souhaité freiner les ardeurs du géant Amazon, qui entendait installer un Netflix du livre au pays des libraires. Ces abonnements illimités en streaming (lecture sans téléchargement) posent la question de la remontée des revenus sur la chaîne de valeur et reposent sur le paradoxe suivant : pour être rentables, ils doivent fidéliser de petits lecteurs, mais ce sont les gros lecteurs qui s’y intéressent (c’est la parabole du buffet illimité, qui ne fonctionne pas s’il ne rassemble que des gros mangeurs). En refusant d’ouvrir leurs catalogues et en brandissant les incompatibilités de l’abonnement illimité avec la loi sur le prix unique du livre numérique, les éditeurs ont gagné du temps face à une des modalités de la consommation qui a séduit les internautes et fait reculer le piratage pour la musique. Certes, le livre n’est pas la musique, mais lorsqu’il faut penser les nouveaux modèles de consommation, il est prudent de ne jamais affirmer : « Fontaine je ne boirai pas de ton eau. »

Deuxième question : l’engouement américain pour l’autoédition atteindra-t-il la France ? En un an, aux Etats-Unis, les titres autoédités ont été plus nombreux que les titres nouveaux venus de « vrais » éditeurs (285.000 contre 275.000). Il y a de tout, dans ce marché immense : des auteurs de best-sellers ingrats qui entendent se passer de leur éditeur, de l’édition spécialisée destinée à des cercles d’experts, une palette d’oeuvres nouvelles au sein de laquelle l’éditeur peut repérer des auteurs. L’autoédition ouvre enfin une nouvelle façon de travailler, boostée par la possibilité d’imprimer à la demande. Elle a fait naître quelques best-sellers et rappelle que la désintermédiation est au coeur des modèles économiques du numérique. Amazon vient d’ouvrir son site d’autoédition Write on et entend damer le pion à Wattpad, la plate-forme communautaire aux 40 millions d’utilisateurs, lecteurs et auteurs en ligne. C’est l’hypothèse de la disruption de la chaîne de valeur avancée par Clayton M. Christensen.

Troisième question. Un plan numérique à l’école vient d’être lancé; il devra reposer sur des ressources pédagogiques faisant la part belle aux livres enrichis. Et il ne devra pas être une plate-forme de développement de la tablette… d’Apple. C’est là un sujet culturel dont doivent s’emparer les éditeurs, et un sujet industriel auquel les fabricants de matériel doivent répondre.

Quatrième question, la TVA. La Cour de justice de l’Union européenne a condamné la France parce qu’elle contrevient à la législation de l’Union en appliquant au livre numérique un taux réduit de TVA de 5,5 %, comme pour le livre papier. Pour Bruxelles, le livre numérique n’est pas un livre, mais un service. Si le taux passe à 20 %, et même si les éditeurs n’en reportent qu’une partie sur le prix, le différentiel de prix entre le livre papier et le livre numérique deviendra très insuffisant, au risque de casser le (petit) frémissement du marché et de nourrir la tentation du piratage.

Dernière question. A l’heure de la réforme des collèges, l’enjeu de la lecture est le plus important. Une étude menée par la Sofres pour le CNL montre que la dynamique de la lecture est en baisse (33 % des Français lisent de moins en moins contre 18 % de plus en plus), surtout chez les plus jeunes. C’est un enjeu culturel, une question d’éducation, mais aussi une question économique : la lecture est le premier des apprentissages, le premier pas vers un diplôme qui conditionne l’entrée sur le marché du travail.

 

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