" Osons un débat éclairé "

Macroéconomie des Jeux Olympiques…

 

Citius, Altius, Fortius*. Telle était la devise proposée par le baron Pierre de Coubertin au moment de la rénovation des Jeux Olympiques (JO) qui donnera naissance aux premiers JO des temps modernes, à Athènes, en 1896. Au-delà des valeurs universelles de l’olympisme (l’excellence, le dépassement de soi, le respect des adversaires), il s’agissait d’honorer l’exploit, la performance sportive des athlètes, à titre individuel ou dans le cadre des épreuves réunissant des équipes nationales. Mais les JO, surtout aujourd’hui, ne sont pas que cela. C’est aussi une confrontation d’Etats-Nations qui met en jeu leur puissance économique et leur influence géopolitique. On peut même parler d’une macroéconomie des JO, bien sûr dans la phase de mise en compétition par le Comité international olympique (CIO) des villes candidates, en réalité des Nations, désireuses d’organiser les Jeux. Car le potentiel de mobilisation des ressources publiques et privées assurant les investissements d’infrastructures et les dépenses d’organisation des JO est indissociable de la puissance économique qui sous-tend les candidatures. Mais cette macroéconomie des Jeux intervient sous deux autres volets. Comment expliquer la hiérarchie des performances entre les Nations, le nombre de médailles obtenues par chaque pays tous les quatre ans ? Et les JO sont-ils rentables, lorsqu’il s’agit d’en évaluer les retombées économiques ex ante ou de dresser ex post le bilan financier de cet évènement sportif de caractère planétaire ? Cette double interrogation doit évidemment être examinée dans la perspective des JO de Paris en 2024.

Les économistes du sport ont développé une économétrie des médailles olympiques afin de mieux comprendre pourquoi la noble incertitude du sport conduit immanquablement au succès des mêmes grands pays. Si l’on se cantonne aux JO d’été, depuis 2000, les Etats-Unis sont arrivés en tête, à l’aune du nombre de médaillés olympiques, dans quatre occasions sur cinq ; la Chine une fois sur cinq. La Chine figure systématiquement dans le trio de tête et il en est de même de la Russie parmi les quatre premières nations ayant obtenu le plus de médailles. Sans se limiter à ces pays-phares, et donc pour l’ensemble des pays participants, les économètres des JO mettent en avant trois facteurs explicatifs majeurs dans la moisson de médailles : le PIB, dont le niveau est corrélé à la qualité du système médical, à la richesse des équipements sportifs ou à la taille des budgets consacrés au sport de haut niveau ; la taille de la population ; et un « effet pays organisateur » qui induit un surcroît de médailles de l’ordre de 30% vis-à-vis des performances passées. D’autres études soulignent les effets statistiquement significatifs sur le nombre de médailles du montant des dépenses publiques dans le domaine sportif (sport de masse, sport de haut niveau). Toutes choses égales par ailleurs, il faudrait consacrer entre 50 et 70 millions de dollars de plus par an pour obtenir quatre ans plus tard une médaille supplémentaire. Depuis les JO d’été de 2000, la France obtient en moyenne 38,2 médailles olympiques. Si l’on souhaite atteindre un seuil de 50 médailles en 2024, il faudrait donc accroître l’investissement public annuel dans le sport d’environ 720 millions de dollars, soit 585 millions d’euros. Si l’on y ajoute l’effet pays organisateur, on pourrait alors compter sur près de 65 médailles !

La macroéconomie des JO s’applique également aux enjeux financiers que sous-tend l’organisation des Jeux. Les Jeux olympiques sont-ils rentables et permettent-ils de booster la croissance ? La question est complexe pour plusieurs raisons.

D’une part, on observe une dérive quasi-systématique et de vaste ampleur entre les budgets annoncés ex ante, notamment dans les dossiers de candidature soumis au CIO, et le bilan dressé ex post, après la clôture des compétitions, en intégrant le remboursement à long terme des investissements financés par emprunt public. En moyenne, le taux de dépassement des budgets dédiés aux JO vis-à-vis des prévisions avoisine les 170% ! Certains exemples sont édifiants. A Athènes (2004), on est passé de 3 à 16 milliards de dollars ; à Pékin (2008), de 20 à 45 milliards ; à Londres (2012), de 5 à 18 milliards. Seuls les JO de Los Angeles, en 1984, échappent à ce constat. D’autre part, du côté des retombées, on ne saurait se limiter au chiffre d’affaires directement ou indirectement dégagé avant les Jeux (dépenses en infrastructures publiques, BTP, dépenses de communication, investissements privés dans le secteur touristique…), mais aussi pendant les Jeux (billetterie, droits télévisuels, dépenses touristiques ou en transports…), et l’on doit également tenir compte des nombreuses externalités induites à court et à moyen terme : effets image pour l’attractivité touristique future de la ville organisatrice, gains en bien-être liés à l’amélioration des systèmes de transports, amélioration éventuelle de l’offre de logements, effets sur la consommation des ménages en réponse au choc psychologique et au climat euphorique suscités par les succès des champions nationaux sur les stades… Ces conséquences existent. On observe même une baisse des taux de suicides dans les pays qui accueillent les JO ou le Mondial de football. Mais dans le cas de la morbidité suicidaire, comme pour les dépenses touristiques ou de consommation des ménages, l’impact n’est pas durable et au total il n’est pas statistiquement significatif au-delà de quelques semaines. A Montréal en 1976 ou à Rio en 2016, le nombre de touristes étrangers n’a pas augmenté par rapport à l’année précédente. Même chose en France pour le Mondial de football de 1998.

En outre, les économètres des JO distinguent plusieurs « vents contraires », de nature à tempérer l’optimisme quant aux retombées macroéconomiques des JO. Le choc positif de demande est contrecarré par un « effet d’éviction », nombre de touristes habituels craignant les vicissitudes de la foule, voire les risques accrus d’insécurité et choisissant d’autres destinations, et par un « effet de congestion » lié à l’afflux des publics sportifs et conduisant à des hausses des prix (logement, restauration) systématiquement observés à proximité des sites olympiques. Globalement, en moyenne, depuis les années 1990, il n’y aurait pas d’effet significatif des JO sur la demande globale et donc sur la croissance. Quant aux effets d’offre, liés aux infrastructures de transport et aux investissements sportifs ou immobiliers, il s’agit le plus souvent d’un décalage temporel dans l’extension de l’offre qui serait intervenue tôt ou tard, même sans les Jeux, et qui se substituent à d’autres investissements publics, peut-être plus rentables, ce qui crée un coût d’opportunité. Tel sera le cas pour les JO de 2024 avec l’accélération des travaux du Grand Paris. Enfin, on connaît l’inflation que suscitent les Jeux en matière d’investissements publics de type « éléphant blanc » (stades, autoroutes, aéroports, parc immobilier) dont la taille est manifestement surdimensionnée hors JO ou dont les coûts de reconversion sont prohibitifs. Pensons ici aux JO d’été d’Athènes (2004) ou de Rio (2016), deux véritables fiascos financiers.

Dans la perspective de Paris 2024, deux enseignements se dégagent de cette incursion rapide dans la macroéconomie des JO. D’une part, on ne doit pas trop attendre des JO de Paris sous l’angle des retombées macroéconomiques, même s’il y aura des effets sectoriels importants. Les prévisions figurant dans le dossier de candidature de Paris 2024 font état de chiffres très optimistes : compte tenu du fait que Paris dispose déjà de l’ordre de 90% des infrastructures nécessaires à l’organisation des JO, l’injection de demande pourrait être relativement modeste, variant entre 5 et 10 milliards d’euros, selon les hypothèses retenues. Mais qu’en sera-t-il sous l’angle des recettes générées et des retombées sur le taux de croissance ? Les effets « intangibles », la promotion de la France, la lisibilité géopolitique et la fonction tribunitienne ou médiatique issue de la présence pendant quelques semaines à Paris du gotha du sport mondial ont toutes chances de dominer les effets purement macroéconomiques. D’autre part, si un effort significatif de l’Etat dans le domaine des infrastructures olympiques ou des dépenses consacrées au sport de haut niveau a peu de chances de booster la croissance, « en même temps » cela peut rapporter gros en termes de moisson de médailles. Confirmation ou infirmation en 2024 !Plus vite, plus haut, plus fort.

 

* Plus vite, plus haut, plus fort.

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