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Maitriser l’inflation : comment et à quel prix ?

L’inflation est de retour en Europe. Pour l’instant, la BCE remonte lentement ses taux, alors que la France alourdit sa dette pour protéger ses citoyens. Après un rappel de ce qu’est l’inflation et de ses mécanismes, Jean-Paul Pollin présente plusieurs outils qui, ensemble, permettront d’affronter l’inflation et ses causes.

On dispose sans doute des instruments permettant de maitriser l’inflation. Encore faut il savoir quel est le prix à payer, selon les politiques utilisées, pour y parvenir. Pour y répondre rappelons d’abord que l’inflation se définit comme une hausse entretenue du niveau général des prix. C’est dire qu’elle s’installe lorsque se développe une course poursuite (une surenchère) entre les prix et les salaires, et donc lorsque se déclenche un « conflit de répartition ».

La politique monétaire, outil de prédilection face à l’inflation

Ainsi, les politiques conjoncturelles restrictives, en réduisant plus ou moins le pouvoir de marché de certains des agents, sont censées freiner la dynamique inflationniste. C’est notamment ce que l’on peut attendre des mesures de politique monétaire. En notant cependant que, dans la situation actuelle, en considérant que le taux d’intérêt neutre (le taux réel d’équilibre de long terme) se situe aux alentours de 1 à 2 %, et en partant d’un taux d’inflation de 6 %, il faudrait que la banque centrale porte les taux longs nominaux à plus de 7 %. On imagine bien qu’un tel mouvement entrainera une contraction sensible de l’activité, mais aussi des perturbations risquées sur les prix d’actifs.

La France tente de reporter le conflit

En ce sens, des mesures de rétablissement de l’équilibre budgétaire, plus difficiles à assumer politiquement, seraient peut-être plus efficaces ou moins coûteuses ; du moins si elles ne consistent pas à sacrifier, comme souvent, les investissements publics au profit des dépenses courantes. Or, il se trouve que c’est l’orientation inverse que certains pays, dont la France, ont choisie en décidant de prendre en charge une part des tensions inflationnistes, par des réductions de taxes ou des transferts plus ou moins ciblés. L’État cherche ainsi à désamorcer le conflit de répartition (à acheter la paix civile) en renvoyant à plus tard son règlement. Quitte à alourdir son endettement et à affaiblir les incitations à la sobriété qu’il préconise. Des critiques semblables pourraient être adressées aux décisions de blocages des prix qui est aussi potentiellement la source de sérieuses inefficiences.

Un vrai dialogue social comme seule issue

Sans doute serait il souhaitable de traiter le problème plus directement par rapport à la façon dont on l’a défini, c’est-à-dire en amenant les partenaires sociaux à s’entendre pour partager les coûts des chocs subis par l’économie et qui ont été à l’origine du conflit (les destructions de capacités, les augmentations des prix de l’énergie et autres produits de base). Après tout la spirale inflationniste ne fait qu’ajouter aux coûts en question, sans qu’aucune des parties ne puisse a priori en tirer de gain. On se souvient d’ailleurs que les politiques des revenus, fondées sur ces principes, a connu dans le passé quelques succès, notamment en France au milieu ses années 80. Mais cela suppose que soient réunies les conditions d’un dialogue social de qualité gagé sur un respect des « corps intermédiaires ».

Une nécessaire politique structurelle de redressement

En tout état de cause les chocs dont on parle correspondent à des dysfonctionnements du côté de l’offre. Ils n’ont donc pas vocation à être traités par des politiques conjoncturelles de réglage de la demande globale ; ils relèvent de politiques structurelles de redressement du niveau et des conditions de production. Le conflit de répartition ne peut se régler que dans la perspective de l’effacement à terme des pertes occasionnées par les crises qui se sont succédé au cours des quinze dernières années. On peut finalement en conclure que la véritable solution à l’épisode inflationniste violent que nous traversons se situe dans le repositionnement des économies avancées sur un trend de croissance plus soutenue et durable. Autant dire que le moment est fort mal choisi pour prêcher la décroissance.

 


 

Jean Paul Pollin, membre du Cercle des économistes et Professeur émérite à l’Université d’Orléans

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