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Malgré la mondialisation, le retour des frontières

La frontière a-t-elle un rôle économique ?

Alors que les frontières sont fréquemment perçues comme des limites fixées dans l’espace et dans le temps, l’exemple européen permet de saisir que les frontières ne sont pas immuables. Il n’est qu’à considérer les vastes flux migratoires actuels qui soulèvent la question de l’existence et des limites de l’espace Schengen ou encore les phénomènes de Grexit et Brexit qui conduisent à s’interroger sur les limites de la zone euro d’une part, et de l’Union européenne, d’autre part. Les frontières ne sont ainsi pas figées, ce qui rend d’autant plus complexe la définition de leur rôle économique, question qui revêt en outre une multitude de dimensions.

Dans sa dimension « commerce », la frontière est souvent considérée comme une entrave aux échanges et un obstacle à la libre circulation de la main d’œuvre et des capitaux. On parle d’ « effet frontière » pour désigner le fait que le commerce à l’intérieur d’une unité géographique donnée est supérieur à celui observé avec un partenaire extérieur. L’importance de ces effets tend toutefois à s’atténuer et la vision de la frontière comme un obstacle au commerce a connu de profondes évolutions. Du fait du développement des accords commerciaux, les droits de douane ont progressivement laissé la place aux mesures non tarifaires, devenues aujourd’hui dominantes. Celles-ci renvoient à de nombreuses règles et normes propres aux Etats visant principalement à protéger le consommateur et l’environnement, mais s’accompagnent de multiples questions et enjeux liés à l’environnement institutionnel, au droit (international, de la concurrence, de la propriété intellectuelle, du travail…), à la régulation des échanges, à l’environnement, etc. Ainsi, malgré l’accélération du processus de mondialisation, de multiples interrogations subsistent quant aux effets frontières.

S’agissant de la dimension « finance », la notion même de frontière est remise en cause en raison d’un contexte marqué par une très vive dématérialisation. Cette disparition des frontières dans le domaine financier, mais au-delà dans l’ensemble des secteurs touchés par la révolution numérique, soulève inévitablement des questions cruciales en termes de régulation et de règlementation, de fiscalité et d’extraterritorialité. L’économie numérique revêt en effet des spécificités allant à l’encontre de notre vision traditionnelle de l’économie et, par conséquent, des frontières puisqu’elle se caractérise par l’absence de localisation des activités, l’importance des plateformes et des réseaux, et les aspects liés à l’exploitation des données ; spécificités remettant en cause les principes de base d’application des règles fiscales.

La frontière est aussi au cœur des débats au travers de la question très médiatisée des migrations, aspect qui permet en outre d’aborder la dimension démographique de la frontière. Si l’on considère l’Europe, la part de sa population dans la population totale ne cesse de décliner depuis les années 1970, en lien avec l’allongement de la durée de vie et le vieillissement de la population. Le moteur de l’accroissement total de la population européenne est ainsi le solde migratoire. Si la crise intervenue en 2007-2008 a marqué une vive inflexion dans cette dynamique, la tendance depuis trois ans est de nouveau à la hausse, en lien avec les crises géopolitiques touchant le Moyen Orient. Cette dynamique soulève la question des frontières migratoires, question qui ne peut être abordée de façon globale mais qui doit prendre en compte, outre les aspects sociaux et humains, les spécificités des pays, notamment en termes de population active et de situation sur le marché de l’emploi.

Ces divers éléments témoignent de l’actualité criante de la notion de frontière qui, après avoir été reléguée au second plan, revient clairement sur le devant de la scène aujourd’hui. Ils montrent que, malgré la mondialisation, les frontières n’ont pas disparu, mais qu’elles se sont complexifiées, redéfinies, déplacées et qu’elles revêtent de multiples dimensions. Ces éléments s’accompagnent ainsi de très nombreuses questions liées à un éventuel retour au protectionnisme, à l’instauration d’accords régionaux et de zones de libre-échange, à l’impact des mesures sanitaires et phytosanitaires sur les exportations, aux stratégies d’implantation des firmes, à l’extraterritorialité et aux mouvements migratoires. Les Rencontres économiques d’Aix en Provence en fin de semaine constitueront un lieu d’échanges privilégié pour faire le point sur l’ensemble de ces considérations au cœur de l’actualité.

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